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à lui seul, dans la forêt du Gault, un bataillon entier du Xe de réserve allemand[1].

Grâce à cette diversion, la pression se faisait moins violente à notre gauche, vers Soisy-aux-Bois, où la 42e division demeurait fortement engagée ; la division marocaine et le 9e corps ne faiblissaient pas davantage sur Mondement et le Sud des marais, où la lutte avait pris surtout le caractère d’un duel d’artillerie ; des deux lignes de hauleurs qui bordent les marais, les batteries adverses se canonnaient énergiquement. Nos avions, le matin, étaient allés reconnaître l’emplacement des batteries allemandes. Nous tirions des coteaux de Soisy, du Mont-Août, de Broyés, sur Broussy, Saint-Prix, Villevenard, Coizard, Aulnizeux ; les Allemands tiraient d’Andecy, de Chenaille, de Congy et de Gourjeonnet sur Oyes, Reuves, Montalard et Mondement. Les obus se croisaient au-dessus des marais, mais l’artillerie lourde de l’ennemi avait une portée plus grande que la nôtre et il nous fallait répondre par la mobilité à ses feux écrasans. Partout, sur les collines, des fils téléphoniques, posés à ras du sol, reliaient ses observateurs aux batteries. M. Roland remarqua aussi, la nuit, « au-dessus de l’emplacement de ces batteries, de petits globes lumineux, des signes certainement, de couleur rose, » mais qui n’étaient pas visibles sans doute pour nos observateurs. Si l’artillerie allemande manqua un moment de munitions a la Marne, il n’y paraissait pas encore, et ses coups, par rapport aux nôtres, étaient dans la proportion de cinq contre un ; les gros obus de 150 faisaient « un bruit de sirène tournoyante » qui arrachait des cris de délire aux assistans : « Allemagne ! » glapissait un vieux major, les yeux au ciel, à chaque fois qu’un de ces monstres d’acier passait en mugissant.

Absorbées par une besogne moins lyrique, les réserves ennemies, dans les villages, procédaient à de minutieuses perquisitions domiciliaires. « Comme il y avait quatre jours que nous n’avions pas mangé, confesse un de leurs déserteurs[2] l’ordre avait été donné de piller tout ce qu’on trouverait. » Et tout y passa en effet, même l’argent des tiroirs. Après quoi, comme à Villevenard, où ils avaient forcé le tronc de la caisse des écoles, et par fidélité à leur vieux goût national de la scato-

  1. Gustave Babin, op. cit.
  2. L…, Lettre à l’abbé Millard.