Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurait imprudence à les combattre en pays découvert ; vous les trouverez prêts et bien rangés en bataille… » C’est peut-être ce qui a été dit à Klück par un conseiller éclairé. Et quand, à marches forcées « comme des chasseurs courant après le gibier, » — « comme s’ils courussent pour proie rescorre, » les Allemands rejoignent les Français, Othon s’arrête, étonné. « Que me disait-on que le roi était en fuite ? qu’il n’oserait soutenir notre passage ? Voici que j’aperçois son armée rangée dans un ordre parfait, toute disposée à en venir aux mains. » Et le soir du 17 juillet 1214, dans ces champs de Picardie, l’armée impériale étant déconfite, on venait jeter aux pieds de Philippe, proclamé Auguste, l’aigle d’or arraché du char de combat — colossal — de l’Empereur en fuite. Et de celui-ci le Capétien riant disait ce que nos soldats eussent pu ricaner le soir de la Marne : « Nous ne verrons plus sa figure d’aujourd’hui. »

Avons-nous jamais été plus bas cependant qu’en 1429, quand le roi d’Angleterre, installé à Paris, tout était, en France, discordes, troubles, querelles civiles, défaites militaires, que le roi Valois pourchassé n’était plus que le « roi de Bourges ? » Mais si quelques grands s’égorgent et trahissent, il reste, des châteaux aux chaumières, un peuple de France. C’est des entrailles de ce peuple que jaillit Jeanne : le 8 mai, devant Orléans devenu le bastion de la France, la jeune fille lorraine livre bataille et arrête l’étranger. Le roi restauré et sacré, l’armée restituée en sa foi, la Nation rappelée à l’union, le territoire sera en quelques années libéré. Pourquoi, même après la mort de Jeanne, l’œuvre s’est-elle continuée, sinon parce que cette enfant avait incarné dans une heure terrible le génie de la Nation qui ne voulait pas mourir ?

Et si, ne nous arrêtant point à tant d’autres réveils, nous fixons la carte de nos Marches de l’Est, j’y vois s’inscrire, après Tolbiac et Bouvines, Denain et Valmy.

Denain ! La fin malheureuse d’un grand règne, les conquêtes faites des Flandres à l’Alsace menacées, la France éreintée et qui semble incapable d’un grand effort. Les Impériaux menacent Paris, car Landrecies va être enlevée, « seule place, écrit-on, qui reste pour couvrir les provinces et la capitale de la France ! » Le vieux roi a appelé le maréchal de Villars, lui a confié sa dernière armée. On lui a conseillé de quitter sa capitale, d’aller à Blois : « Monsieur le Maréchal, si un malheur arrive,