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qui, tombés de la Tour Eiffel, apprenaient au monde la grande victoire, nous fûmes certes joyeux, à nous embrasser tous, mais plus d’un dit : « Parbleu ! cela devait bien arriver. » Derrière de remarquables chefs le peuple français avait fait — si l’on veut — un miracle, mais, on peut dire, son miracle ordinaire, celui qui commença à Tolbiac sous les enseignes de Clovis, se continua à Bouvines sous l’oriflamme de Philippe-Auguste, à Orléans sous la bannière de Jeanne, à Denain sous le drapeau fleurdelisé, à Valmy sous les couleurs de la Nation et se renouvelait à la Marne.

Nous avons vu les causes immédiates de l’événement, mais il est des causes, si j’ose dire, séculaires de cette défaite, et celles-là, nous n’avons besoin des documens d’aucun des deux états-majors pour les discerner. Elles résident dans la vertu française, la foi française, la force française. L’Allemand aveuglé par l’Histoire qu’il fabrique à son usage, et pris ainsi à son propre mensonge, a été en grande partie vaincu pour nous avoir méconnus. Jamais la France n’est si près d’être très grande qu’à l’heure où elle paraît très bas. Il faut que nos ennemis se résignent aujourd’hui à le constater. Mais rien n’était plus facile que de le faire avant septembre 1914. Il suffisait d’ouvrir à cinq ou six pages nos Histoires de France.

A la veille de Bouvines, où, pour la première fois, la France, en train de se reconstituer, affronte un Empereur allemand fort de la trahison de certains féodaux et de l’alliance anglaise, tout semblait compromis. La Nation se cherchait. C’est devant l’invasion que, soudain, les élémens de cette Nation se trouvèrent et se soudèrent, puisqu’on vit pour la première fois les milices des communes se joindre aux gens d’armes du roi et aux chevaliers bannerets — tandis que les moines eux-mêmes prenaient le heaume et la masse contre l’Allemand. La France entière se groupe : Philippe en a conçu une extrême confiance. « Enfans de la Gaule ! » crie-t-il à ces soldats venus de tous les points du royaume, et pris d’une pieuse émotion il étend les mains et bénit les soldats. Ceux-ci braveraient un monde. Cependant l’empereur Othon dit à ses troupes : « Philippe est vaincu d’avance. » Le roi pris, on partagerait le royaume, et la France aurait vécu. Lui aussi, l’Empereur croit en fuite le roi qui le veut attirer sur le plateau de Bouvines ; en vain, Renaud de Boulogne dit : « C’est une erreur de les croire en fuite, il y