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n’est pas autre chose que celle de Belgique reprise en de meilleures conditions ; la retraite fut conçue et exécutée de telle façon que les deux batailles restent liées : le général Joffre alla tout simplement chercher entre Seine et Aisne le résultat qu’il n’avait pas obtenu entre Sambre et Meuse. « Belle opération intellectuelle, » a pu écrire M. G. Hanotaux de ce « redressement. stratégique » qu’on pourrait appeler un transfert de bataille.

Trop avisé pour s’emprisonner lui-même en son plan, le général n’avait point, le 25 août, arrêté d’une façon précise à la Seine la limite de la retraite : il pensa certainement livrer bataille sur la Somme, sur l’Aisne ; peut-être l’eût-il livrée plus loin, sur la Seine, et non sur la Marne. Mais à quoi il était résolu, c’était à ne la livrer que lorsque seraient réalisées toutes les conditions nécessaires à la victoire parce que, conscient qu’il jouait le sort de son pays, il avait décidé de ne pas être vaincu. Pour que, à tous les instans, il pût être prêt à saisir l’occasion, il ne perdit pas une minute de vue ses bataillons sur un front immense, qui allait un instant de l’Artois à l’Alsace. Les uns reculèrent méthodiquement, rompant tout en ferraillant et maintenant l’adversaire, les autres furent enlevés à telle armée, transportés à telle autre où ils arrivèrent à l’heure dite.

J’ai vu les ordres. Leur recueil établira que, pas un instant, le haut commandement français ne cessa de jouer serré, les yeux dans les yeux de l’adversaire. J’ai cité quelques-uns de ces ordres, qui montrent que ce qui se fit s’était trouvé prévu ; et si ce qui était prévu put se faire, c’est que, du 25 août au 10 septembre, l’armée resta dans une main qui, même dans les pires momens, ne trembla pas, parce que la tête restait « froide. »

La bataille fut d’abord gagnée par elle. Elle le fut ensuite par l’esprit d’initiative des lieutenans. J’ai souvent admiré comment, en 1806, contrairement à la légende, Napoléon avait su d’Iéna, puis de Berlin, au lendemain d’une grande bataille, diriger ses maréchaux, lancés à la poursuite, sans jamais les gêner : Lannes, Murat, Soult, Bernadotte, Ney, reçurent ses directions, mais ces directions ne furent jamais étroites ; transformant la défaite subie par l’armée prussienne à Iéna et à Auerstædt en une immense victoire remportée des monts saxons à la Baltique, ils agirent suivant les ressources de leur génie militaire dans un large cercle tracé par l’Empereur. Ainsi Joffre laissa-t-il agir