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même sang-froid nous est donnée, cette fois par un des lieutenans de Joffre et, chose à remarquer, l’un des plus bouillans : avisé par le généralissime que les circonstances lui paraissent avantageuses pour livrer bataille le 5 et d’ailleurs consulté par lui à ce sujet, le général d’Espérey répond qu’il estime que la bataille ne pourra avoir lieu que le 6. Tout cela donne une impression très nette de calme clairvoyance. C’est dans cet esprit que, le 4, les commandans des grandes unités ont été avertis que le mouvement de repli sur la Seine ne continuerait pendant la journée du 5 « qu’en vue d’exécuter la manœuvre qui doit aboutir à la reprise de l’offensive par la masse de nos armées. » Ainsi chacun d’eux peut prendre ses mesures. Le dispositif rêvé est atteint ; les armées sont soudées, assises sur des positions favorables, en face des armées allemandes qui, dans l’ivresse d’un triomphe qu’elles tiennent pour certain, ont franchi la Marne, certaines de tout bousculer.

C’est alors que le généralissime adresse à ses lieutenans le célèbre message : « L’heure est venue de tenir coûte que coûte et de se faire tuer plutôt que de reculer, » — tandis que va se répandre dans l’armée le fameux ordre : « Au moment où s’engage une bataille dont dépend le salut du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière ; tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée. »

Aucune défaillance ne se produira. Chacun comprend qu’une heure solennelle, — peut-être décisive, — a sonné. On s’en rend compte aussi de l’autre côté, puisqu’un des ordres adressés aux troupes allemandes, dès le commencement de la bataille, se terminera par ces mots : « J’attends de chaque officier et soldat, malgré les combats durs et héroïques de ces derniers jours, qu’il accomplisse son devoir entièrement jusqu’à son dernier souffle. Tout dépend du résultat de la journée de demain. »


C’est sur une terre bien foncièrement française que se va livrer cette bataille où se joue le sort de la France : Ile-de-France, Valois, Brie, Champagne, Barrois.