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que l’Anglais eût pris goût à la guerre. Aussi les hommes, — les carnets de route en témoignent, — devaient-ils, sous l’écrasant soleil de la dernière semaine d’août, fournir des étapes de 35 à 40 kilomètres et arrivaient, en partie exténués, dans les premiers jours de septembre, dans la région entre Aisne et Marne, entre Argonne et Ornain.

Ils se délassaient, en remplissant de deuil et de déshonneur les lieux qu’ils traversaient, pillant, brûlant, violant, fusillant, les plus humains se contentant de vider les caves et les garde-manger, emportant dans leurs sacs le plus invraisemblable butin, répandant sur les routes le trop-plein de leurs rapines et, en Champagne particulièrement, se livrant éperdument à ce soulas bachique dont l’espérance avait bercé toute leur enfance. Derrière ou au milieu de ce torrent d’hommes roulaient les gros canons, — orgueil et espérance de cette horde moderne, — écrasant sous leurs lourdes roues viandes gâchées, objets brisés, bouteilles vides. Ainsi les virent passer les habitans de nos départemens du Nord-Est, vrais rouages d’une formidable machine de broiement, raides et automatiques dans le rang, déchaînés aux étapes, se voulant déjà payer de leurs peines sur la bête — qui était la France — et criant : Nach Paris ! avec une sorte de délire de convoitise. Car ils croyaient tous, comme l’officier de tout à l’heure, courir « au Moulin-Rouge, » alors qu’ils devaient rencontrer — mais étrangement grandi — le Moulin de Valmy.


Notre armée, cependant, continuait à se replier. Au début, ce n’avait pas été sans difficulté : les populations affolées des départemens du Nord se mêlant, dans leur exode lamentable, aux troupes, les gênaient. Et l’on sentait le poids de l’échec grave qu’on venait d’essuyer. Puis, tout s’était régularise. On allait devant soi sans entrain, certes ; on était triste d’abandonner à l’invasion tant de sol français ; on était las de cette marche forcée sous le soleil torride ; mais, au témoignage de tous, la discipline se maintenait et, si l’on entendait quelques soupirs, on n’entendait aucun murmure. « Je n’avais plus de peau sous les pieds, me disait plus tard un soldat, mais je n’avais mal qu’au cœur à l’idée que l’on s’en allait. »

Ceux qu’on autorisait parfois à combattre accueillaient, me