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Klück, moins éprouvée que les autres par les premières semaines de combat et obéissant d’ailleurs à un chef énergique, précipitait sa marche : devant elle l’armée anglaise devait, à notre gauche, accélérer sa retraite à ce point que la nouvelle 6e armée avait à peine terminé, le 28 août, ses débarquemens, qu’elle-même était forcée de rétrograder pour couvrir Paris nettement menacé. Ce fut donc grande sagesse de ne pas engager, dès le 28, ainsi qu’on y avait d’abord songé, une nouvelle bataille sur la ligne de la Somme : le dispositif rêvé n’était nullement réalisé. Le 29, après une entrevue entre le maréchal French, commandant l’armée anglaise et le généralissime, la ligne qui peu à peu se constituait et tous les jours se raffermissait, continuait son repli.

L’heure avait paru d’autant moins propice que si la Russie, notre alliée, commençait à inquiéter l’Allemagne, l’effet de cette inquiétude allait seulement dans la première semaine de septembre se traduire par le prélèvement de quelques divisions sur le front occidental — si bien que, notre front se fortifiant, l’Allemagne affaiblissait légèrement le sien.

C’est que l’Etat-major allemand nous croyait maintenant perdus.

A dire vrai, il nous avait crus perdus de l’heure où le gouvernement allemand avait résolu notre perte.

Pour quiconque a vu les documens avec lesquels se peut écrire l’histoire des campagnes de 1792 et de 1806, il y a quelque chose de piquant à retrouver chez l’Allemand de 1914, exprimée en des termes identiques, la même formidable présomption que 122 et 108 ans auparavant. Les historiens de Valmy et d’Iéna ont pu écrire que c’avait été pour les soldats de Frédéric-Guillaume III, de Frédéric-Guillaume IV, une cause de faiblesse que cette trop formelle assurance. Les historiens de 1914 signaleront, chez les petits-fils des vaincus de Valmy et d’Iéna, cette même faiblesse : l’excès délirant de la confiance. Mais si la confiance que les soldats de 1792 et de 1806 mettaient dans l’ « invincibilité » de la Prusse était inexcusable illusion, l’orgueilleuse attente des soldats de Guillaume II paraîtra plus justifiée.

Depuis quarante-trois ans, les vainqueurs de Sadowa et de Sedan avaient, à forger l’arme la plus redoutable que nation eut tournée contre ses ennemis, employé toutes les heures et toutes leurs facultés. Tout ce que la science et la richesse