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civilisation gréco-latine de l’invasion barbare ; les Champs Catalauniques où, sous Aétius, les forces coalisées de la Gaule rompirent, en 451, pour toujours Attila et ses Huns, Poitiers où, en 732, Charles Martel, duc des Francs, arrêta pour toujours le flot islamique que, du fond de l’Arabie à la vallée de la Loire, rien n’avait pu contenir ; Vienne où, en 1683, Jean Sobieski mit un terme à la marche du Turc qui, depuis trois siècles, roulant des plateaux de l’Asie, menaçait d’envahir, après l’Orient, l’Occident chrétien, sont les grandes batailles d’arrêt de l’Histoire. Un jour renverse des siècles. Une civilisation, qui ne veut pas être submergée, trouve l’épée d’un Miltiade, d’un Marins, d’un Aétius, d’un Charles d’Héristal, d’un Jean Sobieski pour la sauver de la barbarie — se présentant sous des aspects divers. Un jour, où sera mieux connue encore la barbarie nouvelle à laquelle, grâce à nos efforts, l’Europe a échappé, la bataille de la Marne sera célébrée, j’en suis convaincu, à l’égal de ces grandes journées.

Plus spécialement la France y verra une de ces victoires par où elle a, — quand tout semblait sinon perdu, du moins compromis, — reconquis, par la vertu mystérieuse de son incroyable vitalité, avec son prestige un instant abattu, le droit à une longue vie de fortune et de gloire. Ces batailles dont je rappellerai, en terminant, les grands effets, Tolbiac, Poitiers, Bouvines, Orléans, Denain, Valmy, je pourrai, — lorsque nous aurons, en quelques pages, caractérisé les circonstances où fut livrée la bataille de la Marne, retracé les phases de l’énorme opération de septembre 1914 et dit les conséquences qui découlèrent de la victoire, — les rapprocher de celle-ci, l’inscrivant ainsi, je l’espère, avec l’assentiment du lecteur, parmi les journées qui sauvèrent la France d’un mortel péril.


LA RUÉE ENNEMIE

Le 5 septembre 1914, au matin, les chefs des armées françaises, arrêtées dans leur retraite, recevaient du généralissime Joffre le message suivant : « L’heure est venue d’avancer coûte que coûte et de se faire tuer sur place plutôt que de reculer. » Une note de provenance officielle, parue peu après les événemens, ajoute ce commentaire : « Le dispositif recherché par l’instruction du 25 août était réalisé. »