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maître. Si parfois elle a payé sa victoire très cher, nulle part elle n’a été vaincue. De jour en jour, son expérience s’étend. Tout en restant aussi « sportive, » elle devient plus « militaire : « l’ « amateur » s’y change en « soldat. » Ses étapes s’allongent. Les deux armées en liaison, anglaise et française, mieux accouplées, mieux « mises » ensemble, mieux soudées ou articulées, s’alignent. Peut-être, à son départ, notre offensive sembla-t-elle marcher plus vite, au gré des impatiens, qui voyaient en esprit les Allemands enfoncés et battant en retraite des Flandres à la Champagne. Mais la lenteur du travail est, dans ce cas, une condition, ou tout au moins un gage de sa qualité. Il s’agit, non d’une expédition rapide, mais d’une libération définitive. Kilomètre par kilomètre, et même hectomètre par hectomètre, — la presse allemande dit « mètre par mètre, » sans se douter que cette ironie est un hommage, — nous arrachons à l’invasion notre sol bouleversé et les ruines de nos maisons ; mais, sur la Somme, grâce à l’ardeur française et grâce à la ténacité anglaise, il est à peu près sans exemple qu’un hameau, qu’une ferme, qu’un bois, qu’un champ, une fois repris, aient été pour longtemps reperdus. Ce n’est pas seulement notre front qui avance ; c’est la frontière toute proche qu’un provisoire odieux maintenait depuis deux ans, c’est cette frontière impie et sacrilège qui recule. Lentement donc, mais sûrement et définitivement. Pourtant cette lenteur nécessaire, cette lenteur salutaire a ses inconvéniens. Elle permet à l’ennemi d’amener des renforts, d’accumuler de l’artillerie et des munitions, de se retrancher et de s’enterrer à nouveau, de se traîner de trou en trou : elle se multiplie, en conséquence, par elle-même, et la durée des opérations augmente, pour ainsi dire, en proportion géométrique. Qu’y faire ? C’est la guerre d’usure qu’une immobilité forcée de deux années nous impose. Longue et dure, nous le savons. Les Allemands affectent des airs dédaigneux et, tenant ou feignant de tenir leurs désirs pour accomplis, répètent à l’envi que l’offensive sur la Somme est brisée ou contenue, qu’elle a pu un moment les menacer, mais que c’est fini, qu’elle se solde pour nous par un échec, et qu’il y a de ce fait, en France, une amère désillusion. Parmi les plus échauffés de ces faux prophètes se distinguent des critiques militaires, dont quelques-uns sont réputés, comme le major Moraht. Ils jugent par ce qu’ils connaissent de ce qu’ils ne connaissent point. Parce que, dominés que nous étions par une agression préméditée durant un demi-siècle, nous avons dû souvent copier les méthodes allemandes (il ne s’agit que des méthodes de combat : les autres, ni vivans, ni morts, nous