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« Grouchy ?... C’était Blucher ! » — Qui sait si Grouchy, qui avait l’ordre de marcher au canon, ne s’est pas arrêté parce qu’il s’est trouvé soudain dans une de ces zones de silence ? Les exemples analogues sont plus fréquens qu’on ne croit. Le capitaine Moch en a cité plusieurs dans la brochure pleine d’idées ingénieuses qu’il a consacrée jadis à la Poudre sans fumée et la tactique. C’est notamment la division Castagny qui, à Forbach, mise en mouvement au bruit de la canonnade, cessa de l’entendre après avoir marché quelque temps, crut l’engagement terminé et revint à son point de départ où elle l’entendit de nouveau, mais cette fois trop tard.

Quelle peut être la cause des zones de silence ? Il est probable qu’elle doit être cherchée dans une incurvation des rayons sonores qui les dévie vers la haute atmosphère, puis les ramène en un point éloigné vers le sol, de même que le jet d’un arroseur retombe à une certaine distance sans mouiller les gens qui passent sous son arceau fluide. Mais à quoi peut être due une pareille incurvation des rayons sonores, qui est tout à fait analogue à la réfraction particulière des rayons lumineux qui produit le mirage ?

Deux explications apparaissent tout d’abord, qui d’ailleurs ne s’excluent nullement. Nous avons vu qu’un vent contraire dévie le son vers l’atmosphère, parce que le vent est moins rapide en général près du sol qu’au-dessus ; mais si on admet, ce qui doit arriver au moins quelquefois, que cette augmentation de la vitesse du vent avec l’altitude a une limite, et cesse à un certain niveau, il est clair que l’effet sera de renvoyer plus loin vers le sol les rayons primitivement éloignés de lui. Le même résultat sera obtenu si, à une certaine altitude, lèvent change de direction, ce qui arrive fréquemment comme le montrent les observations météorologiques faites notamment en ballon. La météorologie nous fournit ainsi une explication fort simple des zones de silence. Une inversion de température, avec la hauteur telle qu’on la constate souvent, aura la même conséquence. — Le caractère variable de ces facteurs météorologiques du phénomène explique que l’étendue et la forme des zones de silence observées dans les diverses circonstances que nous avons relatées, aient été elles-mêmes variables et irrégulières.

Ceci nous aide d’ailleurs à comprendre une série de faits en apparence paradoxaux : tandis qu’en général la perception du son du canon est meilleure par un vent de même sens, on a observé d’autre part un certain nombre de cas non douteux, et parfaitement établis où cette perception était, surtout aux grandes distances, nettement favorisée