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La voix des orateurs, si remarquables soient-ils, ne porte guère qu’à quelques décamètres, à moins qu’elle ne soit amplifiée par la trompette de la Renommée qui est, comme on sait, une trompette métaphorique d’où sortent plutôt des papiers imprimés que des sons. Le sifflet des chemins de fer ou des sirènes ne dépasse guère quelques kilomètres. Qu’est cela à côté des portées atteintes par le son du canon ? D’une intéressante enquête faite récemment par M. Bigourdan et communiquée par lui à l’Académie des Sciences, il résulte que le bruit des dernières canonnades a été entendu très nettement dans un rayon d’environ 250 kilomètres. On a bien entendu parfois, notamment au Japon, le bruit produit par certaines éruptions volcaniques jusqu’à des distances du même ordre de grandeur. Mais, en ce qui concerne les bruits produits artificiellement, il faut convenir qu’il n’en est point de comparables en intensité et que, de toutes les formes de langage imaginées par l’homme pour exprimer sa pensée... et l’imposer, la poudre est certes celle qui parle le plus haut.

Les résultats systématiquement recueillis par M. Bigourdan n’ont d’ailleurs rien de surprenant, si on considère les précédens, car déjà dans l’histoire on avait vu... ou plutôt entendu l’artillerie porter l’écho de la bataille jusqu’à de pareilles distances. En 1792, le canon de Mayence fut entendu à environ 245 kilomètres ; en 1809, les coups de canon tirés à Heligoland le furent à 260 kilomètres. Certains historiens assurent même que des témoins dignes de foi entendirent en 1832 le canon du siège d’Anvers jusque dans la Saxe, à près de 600 kilomètres. Je n’irai point comme Renan jusqu’à mettre en doute la documentation de ces historiens et à les considérer comme de pauvres petits savans conjectureux. Mais on peut se méfier de la véracité des témoins invoqués par eux dans cette affaire ; car ils appartenaient à un peuple qui a pris depuis d’étranges libertés avec la vérité... Ce sont même les seules libertés qu’il ait jamais su prendre. En 1870, en tout cas, les canons de siège allemands en batterie devant Belfort étaient entendus nettement jusqu’au Salève, à 175 kilomètres.

Dès le début de la guerre actuelle, on entendit fort bien le canon à des distances très grandes. Des observations communiquées à l’Académie des Sciences d’Amsterdam par le docteur van Everdingen, professeur à l’Université d’Utrecht, qui est un spécialiste de ces questions, ii résulte en effet que le canon du siège d’Anvers, en