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celles qu’on produit en jetant un caillou dans l’eau et aussi à celles qui constituent les rayons lumineux. Mais tandis que ceux-ci ont une très petite « longueur d’onde, » comme disent les physiciens, si bien que les ondes de la lumière n’ont que quelques dix-millièmes de millimètre de longueur, les ondes de son sont beaucoup plus longues et elles varient entre une dizaine de mètres de longueur pour les sons les plus bas qui soient sensibles à l’oreille, et environ un centimètre pour les sons les plus aigus [1]. C’est-à-dire que les ondes des sons les plus aigus sont des millions de fois plus longues que les ondes lumineuses.

Il s’ensuit immédiatement que les ondes sonores seront capables de tourner des obstacles qui arrêteront les ondes lumineuses. C’est en effet une propriété bien connue des physiciens que les ondes sont capables de se diffracter, comme ils disent, c’est-à-dire de contourner les obstacles rencontrés d’autant plus facilement qu’elles sont plus longues. C’est un peu, si j’ose employer cette comparaison simpliste, comme les animaux qui franchiront, toutes choses égales d’ailleurs, d’autant plus facilement qu’ils seront eux-mêmes plus grands les obstacles rencontrés. Un caillou qui sera comme un mur sur le chemin de la fourmi sera franchi sans même qu’il s’en aperçoive par un cheval.

Il s’ensuit que le son tournera autour d’obstacles des millions de fois plus grands que ceux qui arrêtent la lumière, et c’est pourquoi l’éventail permet à Célimène de cacher son visage sans empêcher qu’on l’entende. De là résulte aussi que la plupart des sons remplissent tout l’espace ambiant, pénétrant dans les endroits les plus clos, et tournent tous les obstacles dont le moindre suffit à arrêter la vision Ce phénomène est d’autant plus marqué que la plupart des substances opaques à la lumière, le bois, le métal, etc., se laissent traverser par le son.

Or j’ai expliqué déjà à plusieurs reprises à mes lecteurs que, à

  1. Lorsque nous parlons des sons les plus bas ou les plus aigus qui soient sensibles à l’oreille, cela ne veut pas dire qu’il n’en existe pas de plus bas et de plus aigus encore, mais qui sont hors des limites de notre sensibilité. Il faut distinguer le son sensation et le son phénomène physique objectif. En ce dernier sens, il y a des vibrations imperceptibles, identiques comme nature à celles que perçoit notre oreille et n’en différant que par leur longueur d’onde, de même qu’il y a de la lumière infra-rouge et ultra-violette qui n’impressionne pas notre rétine. A ce point de vue, on a produit des ondes sonores très courtes qui sont sensibles à certains instrumens de mesure, sinon à l’oreille, et qui ont une longueur d’à peine un millimètre, c’est-à-dire sont encore dix. fois plus aigus que ceux qui sont à la limite des sons élevés perceptibles. Au contraire, à l’autre bout de l’échelle, on sait que le canon émet certaines ondes très longues et que nous n’entendons pas, parce qu’ils sont en deçà des sons graves sensibles.