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chevaux andalous caracolant, Je leur petit galop trop court, dans les tableaux de Van der Meulen.

Tout cela n’est plus : aujourd’hui on entend la bataille beaucoup plus qu’on ne la voit. Et je ne parle pas seulement de ceux qui, loin en arrière, ne la connaissent que par un grondement derrière lequel il se passe quelque chose. Non, le chef même d’un secteur, celui-là même qui dirige et commande à quelques centaines de mètres de la mêlée, ne connaît guère celle-ci que par son oreille. Dans la demi-obscurité de son poste de commandement, penché sur ses cartes, il ne voit pas les canons et les fusils qui tirent, les hommes qui rampent dans les boyaux et avancent en se tapissant dans les trous d’obus ; mais, en revanche, le vacarme des départs et des éclatemens, le tumulte formidable des mines qui sautent, le sifflement des balles et la crécelle terrible des mitrailleuses, tout cela jusqu’au fond de son réduit l’inonde d’un bain sonore. C’est par ces sons que son âme communie vraiment avec l’action ; mieux encore, c’est le son qui lui permet de suivre et de diriger tout, grâce au téléphone qui, à chaque instant, rend compte, apporte des renseignemens et remporte des ordres.

Et c’est ainsi qu’un aveugle aurait sans doute une notion plus intense et plus vive de la bataille qu’un sourd. Il est au contraire bien probable que, dans le train-train ordinaire de la paix, l’aveugle est plus isolé des choses que le sourd, car il n’est guère de bruits ou de sons intéressans dans la vie ordinaire qui portent à plus de quelques dizaines, quelques centaines de mètres, tandis que par l’œil nous communiquons avec tout l’univers infini, et nous possédons sur notre rétine jusqu’aux lointaines étoiles qui palpitent tout au fond de la Voie lactée et dont la lumière à l’allure de 300 000 kilomètres à la seconde a besoin de plusieurs siècles pour nous parvenir.

A quoi tient que les phénomènes qui caractérisent la guerre moderne frappent notre oreille beaucoup plus que notre œil ? A deux choses que je vais expliquer et qu’on peut résumer d’un mot : d’abord à ce qu’on sait cacher les objets à la vue, tandis qu’on n’a pas encore trouvé le moyen de défiler les bruits, ensuite à ce que les phénomènes explosifs, qui sont aussi essentiels et fréquens dans la guerre qu’ils sont rares dans la vie courante, sont les plus puissans des générateurs de son connus.


Le son, la vibration qui impressionne notre oreille, est formé par des ondes assez analogues (quoique non tout à fait semblables) à