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faisaient que rire » des Français. Il était chargé de les tenir en bonne amitié avec le roi de France, tandis que le roi de France allait s’emparer de Florence, de Rome et de Naples. Cependant, la Seigneurie, tout en fêtant Commynes très bien, préparait la confédération de l’Italie contre les étrangers. Commynes s’efforçait d’empêcher cet arrangement : et le doge, un matin, lui annonça que toutes conventions étaient signées, de la nuit même. « J’avais le cœur serré, » écrit Commynes. Le soir, pour célébrer l’entente des Italiens, Venise fut illuminée : et Commynes se dissimula dans une gondole couverte qui le promena seul et invisible dans les clartés, les musiques et la gaieté nocturne de Venise.

Les guerres d’Italie multiphèrent les relations de la France et de la République, et rendirent ces relations, charmantes quelquefois, et quelquefois très mauvaises : l’opinion de nos écrivains, sur la reine de l’Adriatique, subit les péripéties des événemens. Venise a dès lors chez nous, et pendant tout le xvie siècle, des partisans chaleureux et plusieurs ennemis.

Au commencement dit siècle, en 1502, Anne de Foix, qui allait épouser Ladislas, demeura trois jours à Venise ; et Anne de Bretagne avait chargé l’un de ses hérauts d’armes, Pierre Choque, de lui rédiger le journal du voyage. La princesse française qui épousait le roi de Hongrie servait une politique d’hostilité contre les Turcs. Venise, reconnaissante, la reçut magnifiquement, donna ses fêtes les plus merveilleuses, prodigua ses fantaisies les plus extraordinaires. Le doge, avec toute la Seigneurie, accueillit Anne de Foix sur le Bucentaure, « qui est autant dire comme char ou bateau royal, car il ne sert que de porter le duc quand il va à soûlas autour de la ville ou qu’il va au devant de quelque prince pour lui faire honneur. » Quel bateau ! L’on y voit deux lions d’or, grands comme s’ils étaient en vie. Et le doge est assis, coiffé du chapeau ducal et tenant de la main droite l’épée, de la main gauche une balance. Sur la poupe, il y a un oranger très haut et qui supporte « un monde d’or ; » à côté, un grand étendard de satin cramoisi avec une double peinture et de Saint-Marc l’évangéliste et des armes ducales. Et, sur le Bucentaure, tapissé de drap d’or, il y avait un château gaillard tout garni de dames en quatre rangées ; et chacune d’elles, rutilante de diamans, émeraudes, rubis, topazes et autres pierres. Cinq cents bateaux, à grand luxe, accompagnaient le Bucentaure. Et il y eut des jeux allégoriques. Sur une barque, trois dames figuraient la France, la Hongrie et la Seigneurie ; et survinrent trois faux Turcs : les trois dames les