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vêpres, le duc et les six-vingts conseillers de la ville, drap d’or, velours, soie écarlate et la fourrure qu’il nomme lestiche et que nous nommons petit-gris. Même, il a regardé les nobles dames, « trop plus richement habillées que les hommes » et brillantes de perles et pierreries. Lengherand, bailli général du Hainaut, conseiller ordinaire de Philippe le Beau et mayeur de la ville de Mons, qui accomplit son pèlerinage vers le déclin du xve siècle, regarda plus qu’un autre les nobles dames ; il les déclare « fort belles femmes et puissantes, » mais accoutrées « très fort dépourvuement, car on leur voit depuis le bout de la tête jusques au-dessous les mamelles. » Il ajoute : « Et plût à Dieu que les femmes de notre pays fussent ainsi habillées ! » Maintenant qu’il a séjourné à Venise, il ne se souvient de Gand et de Bruges qu’avec indulgence.

Les pèlerins sont occupés de leur dévotion ; semblablement, les diplomates songent d’abord à leur affaire. Et Philippe de Commynes est un homme qui ne se laisse pas distraire de sa volonté. Cependant Venise, où il remplit deux missions dans les années 1491 et 1495, le séduisit assez pour qu’en ce point de ses mémoires, son récit montre du plaisir et de la coquetterie ingénieuse. Le jour qu’il arrivait, vingt-cinq gentilshommes, vêtus d’écarlate, vinrent à sa rencontre au lieu dit de la Chafousine, qui est à cinq milles de Venise, et le firent entrer en l’une de leurs petites barques bien nettes et couvertes de beaux tapis velus. Par la rivière, ils le menèrent jusqu’à la mer et aux abords de Venise ; et alors Commynes fut « bien émerveillé de voir l’assiette de cette cité, et de voir tant de clochers et de monastères, et si grand maisonnement, et tout en l’eau, et le peuple n’avoir autre forme d’aller que en ces barques, dont je crois qu’il s’y en finerait trente mille, mais elles sont fort petites ; et est chose bien étrange de voir de si belles et si grandes églises fondées en la mer… » À l’église Saint-André, où les vingt-cinq gentilshommes les conduisirent, l’attendaient encore vingt-cinq gentilshommes et les ambassadeurs de Milan et de Ferrare. On le fit monter dans un bateau couvert de satin cramoisi et seoir entre les deux ambassadeurs. Ils suivirent le Grand Canal : « Les gallées y passent à travers ; et y ai vn navire de quatre cents tonneaux ou plus près des maisons ; et est la plus belle rue que je crois qui soit en tout le monde, et la mieux maisonnée, et va le long de la ville… » Enfin, Venise, « c’est la plus triomphante cité que j’aie jamais vue ; » et, disons tout : « celle qui plus fait honneur à ambassadeurs. » La Sérénissime avait su gagner promptement le cœur de Commynes ; mais il ne tarda guère à vérifier que les Vénitiens « ne se