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aux Hongrois et rendraient à la République. Les Français reprirent Zara et la donnèrent à Venise. Ils réussirent aussi à prendre Constantinople, où Henri Dandolo eut un palais, « un des plus beaux du monde. » Villehardouin reçut les fiefs de Trajanople et de Macra ; en sus, le titre de maréchal de Roumanie. La croisade avait tourné en expédition militaire, et profitable, où divers Croisés ne gaspillèrent pas l’occasion de s’enrichir. Villehardouin garda de cette histoire une vive admiration pour le doge qui, avec un beau visage et un grand zèle à « vivre ou mourir auprès des pèlerins, » était un malin. Quant à Venise, Mme Béatrix Ravà nous prie de croire qu’il en a « senti la beauté : » il a dit que Saint-Marc était « la plus belle église qui fût ; » c’est tout ce qu’il a dit.

Au xive siècle et ensuite, beaucoup de pèlerins partirent de France et allèrent à Venise pour tenter de là le saint voyage de Jérusalem. Ainsi le seigneur d’Anglure, lequel fit à cheval, en six jours, le chemin jusqu’à Pavie, et’isita Vérone « qui est une belle et grande cité, » Vicence, Padoue et Venise « très excellente, noble, grande et belle cité, toute assise en mer. » À Venise, il pria dans toutes les églises, devant toutes les reliques et fut très satisfait d’avoir vu la dent de Goliath. Il donna même un coup d’œil à l’Arsenal… Mais, quoi ! le seigneur d’Anglure est un homme qui ne cherche pas le divertissement. Et pareillement d’autres voyageurs, Nompar, seigneur de Caumonl, Ghillebert de Lannoy, Bertrandon de la Broquière, sont des pèlerins qui pèlerinent : certes il ne faut pas s’attendre qu’ils badinent. Quand ils ont dit que Venise est une belle cité assise en mer, grande comme la moitié de Paris et où il y a plus de bateaux que de chevaux à Paris, voilà tout ; et ils ne font plus qu’énumérer les corps de saint Zacharie, de saint Grégoire le martyr et de saint Théodore, tous trois en un tombeau, à l’abbaye de Saint-Jacques ; le corps et les souliers de sainte Lucie dans l’église qui est dédiée à cette sainte ; un os de la cuisse de Monseigneur saint Christophe et le précieux corps de sainte Barbe tout entier et aussi de la peau de Monseigneur saint Berthemieu dans l’église des Croisettiers ; et, dans l’église de Monseigneur saint Marc, le corps de l’évangéUste et aussi le sang miraculeux qui, à Constantinople, coula d’un crucifix qu’avait blessé la dague d’un « ribaud désespéré. » L’un d’eux, sensible aux sons et aux couleurs, s’étend un peu sur les musiques des « trompettes, clairons et ménétriers, luths et tous instrumens et chantres, » sur la splendeur des grands étendards de soie dorée et figurée, la magnificence des costumes quont revêtus, pour la cérémonie de