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la bonne volonté qui offre ? Généralement, elles se bornent à communiquer à toute personne qui en fait la demande le nom et l’adresse d’un soldat des régions envahies et chacun est libre de régler selon son goût la manière dont s’exercera son adoption ; mais elles demandent à être informées quand, pour une raison ou une autre, on cesse de s’occuper du protégé recommandé par elles.

Quelques œuvres sont nées pour ainsi dire sous le canon. Cela est arrivé au Cirque de Paris où sans préparation, sans avertissement préalable, la nécessité ou plutôt la misère a suscité spontanément toute une pépinière de dévouemens splendides, insoupçonnés jusqu’alors. C’était au premier mois de la guerre. Depuis un certain temps, on souffrait d’un vague malaise produit par des nouvelles alarmantes venues on ne sait d’où, et l’incertitude dans laquelle on se trouvait relativement à leur authenticité entretenait un état d’énervement fort pénible quand enfin, dans la nuit du-28 août 1914, le voile se déchira brusquement et d’une façon terrible. Vers quatre heures du matin, le quartier de l’Ecole-Militaire fut éveillé par une rumeur lointaine, une espèce de piétinement formidable, un grondement qui sans cesse se rapprochait, et l’on vit le spectacle le plus lamentable qui se puisse imaginer : dix mille réfugiés des environs de Lille, du Nord, de partout, vêtus les uns d’une simple chemise, d’autres absolument nus ou enveloppés de lambeaux de couvertures, sales et sans chaussures, les pieds ensanglantés, des vieillards tombant épuisés, des enfans les jambes enflées, les talons usés, mourant de faim, de soif, fuyant devant les hordes barbares, venaient chercher asile dans la capitale.

On ne les attendait pas, rien n’était donc prêt pour les recevoir, il fallut tout improviser et sur l’heure ; mais leurs souffrances morales et physiques étaient si grandes qu’ils considérèrent comme une oasis le Cirque de Paris dans lequel ils s’empilèrent aussitôt. Des âmes charitables frappèrent à cette heure matinale aux portes des maisons pour quérir des bonnes volontés et en un clin d’œil le quartier se trouva debout. On apporta de la paille, des couvertures, des vêtemens, de la nourriture et il se trouva aussitôt des infirmières improvisées, sans brevet, et qui n’avaient même jamais songé à suivre un cours de la Croix-Rouge, pour laver les corps las