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REVUE DES DEUX MONDES.

5e armée, en tenant les débouchés Sud des marais de Saint-Gond et en portant une partie de ses forces sur le plateau au Nord de Sézanne. » Immédiatement la retraite est suspendue ; nos troupes font tête. Il était temps.

L’ennemi, frappé de cette sorte de paralysie qui l’a tant de fois arrêté, au cours des opérations, devant des obstacles imaginaires, n’avait heureusement poussé que des avant-gardes vers les marais. Entre trois et quatre heures, brusquement, le canon français tonne sur Saint-Prix, puis, vers six heures, sur Coizard et, plus loin, vers Morains-le-Petit. De Villevenard, on entend « distinctement » la fusillade et le moulinet des mitrailleuses « au bas de Joches, du côté de l’étang de Chénevry[1]. » L’ennemi riposte en bombardant Oyes, Reuves, Broussy, Bannes, que nous nous sommes hâtés de réoccuper ; il jette des bombes incendiaires sur Pierre-Morains et Coligny, pour déloger nos troupes qu’il y croit encore installées. Sur la route de Morains-le-Petit, une compagnie du 135e de ligne se lance aux trousses de la patrouille allemande qui s’est glissée vers Aulnizeux, la bouscule et capture, au château même de Gravelle, « une pièce d’artillerie avancée ; » les abords Nord et Est du village de Vert sont mis en état de défense par nos troupes. À l’autre extrémité des marais, la brigade Blondlat recevait l’ordre de reprendre Saint-Prix « et surtout de tenir Mondement[2]. » Le second de ces ordres était encore facile à exécuter ; le premier demanda un certain effort.

À Saint-Prix, les marais s’étranglent entre de hautes collines boisées ; la route, de pente assez douce depuis Baye et bordée de grands peupliers, franchit le Petit-Morin et, par une série de lacets, s’élève vers le Signal du Poirier, entre le bois des Grandes-Garennes et le bois du Botrait. Rien n’eût été plus aisé, le matin, que de barrer ce passage. Avec un magnifique allant, mais au prix de pertes sérieuses, le colonel Gros, à la tête de ses tirailleurs, réussit, vers quatre heures, à reprendre le pont de Saint-Prix et l’église, isolée du village, et à rejeter l’ennemi de l’autre côté du Petit-Morin, sur le moulin Toury, où il se retranchait aussitôt. Léger avantage et de courte durée, l’ennemi étant revenu en force : la contre-attaque du colonel Gros n’en avait pas moins dégagé les abords de Monde-

  1. Journal de l’instituteur Roland.
  2. Asker, op. cit.