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Ainsi donc, toutes les critiques s’adressent à la troisième partie de la campagne. Là, comme dans l’expédition des Dardanelles, l’état-major a mésestimé le Turc. On crut celui-ci en déroute, et que ce serait un jeu de prendre Bagdad. Cependant, le major général Townshend exposa que ses forces étaient trop faibles de moitié au moins pour réussir dans une telle entreprise. Malgré cela, des ordres confirmés, comme nous l’avons dit, lui enjoignirent de marcher en avant et il ne pensa plus alors qu’à l’accomplissement de sa tâche. Il fut victorieux à Ctésiphon, — mais à la manière de Pyrrhus, et un tiers de ses hommes était hors de combat. Quand, ensuite, il se jette dans Kut-el-Amara, il prouve encore un jugement exact de la situation. Il devait croire que des renforts lui arriveraient rapidement et, dès lors, conserver cette base stratégique importait avant tout. Cependant, il ne fut pas sauvé. Le chef de la colonne de secours ne prépara point à fond ses assauts et perdit ainsi trop de monde. En outre, il exécuta médiocrement le seul point acceptable de son plan et ainsi échoua irrémédiablement. La 6e division était perdue. On a vu avec quelle abnégation elle sut résister. La Grande-Bretagne, à bon droit, peut se montrer fière de pareils héros. Si leur perte est due à des fautes insignes, elle n’en demeure que plus regrettable.


Et maintenant, supposez Bagdad conquise, quelle utilité présenterait cette victoire ? Barrer la route de Perse ? L’armée Baratoff le faisait déjà. Produire un effet moral ? Cela n’est pas certain.

On s’est trop occupé de la répercussion des entreprises guerrières en Orient sur les indigènes des colonies alliées. Qu’elle n’en exerce aucune, serait trop dire. Assurément, notre échec des Dardanelles, les récits des blessés, n’ont point donné à la Tunisie, par exemple, l’impression que nous fussions partout victorieux, mais cela n’est pas allé beaucoup plus loin. De même, la chute de Kut, en partie défendue par des Hindous, n’a pas eu dans l’Inde le résultat qu’en escomptaient les Impériaux. Ainsi donc, la prise de Bagdad est d’une utilité discutable. Y fussent-elles parvenues, que les troupes anglaises s’y seraient trouvées en flèche, loin de leur base.