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de parcours. Elle dépasse Moliammerah, grand port fluvial, dont le cheik est un protégé traditionnel de l’Angleterre, puis atteint Ahwaz.

Cette misérable bourgade, construite au milieu de ruines, est une position stratégique incomparable. Le Karoun y traverse une chaîne montagneuse dirigée vers le Sud-Est ; son cours se rétrécit, et une dizaine de barrages successifs, formés de rochers gréseux, dépassant cent mètres, le partagent en plusieurs rapides. Tenir Ahwaz, c’est avoir la main sur le Karoun à l’eau si fraîche que les requins du golfe Persique le remontent jusqu’à Chouster.

Pendant les mois de mars et d’avril, l’activité ottomane autour d’Ahwaz sera constante et après une longue accalmie, au milieu d’avril, une violente canonnade paraissait devoir préluder à une attaque, mais ce ne fut qu’une alerte.


Une expédition fluviale demande nécessairement des communications sures avec sa base. Or, à ce point de vue, une particularité géographique exposait la colonne du Tigre à de graves risqués. En effet, à travers l’Irak-Arabi, un canal, d’ailleurs peu profond et mal entretenu, le Chatt-el-Hai, réunit Tigre et Euphrate. De Kut-el-Amara à Nasirieh, il traverse le désert. Sur ses rives, au milieu d’abondantes cultures, se dressent de petits villages, et les ruines d’antiques cités jalonnent son parcours. Ce canal était d’une valeur stratégique de premier ordre. Une action du général Townshend sur le Tigre devait être menacée par les Turcs descendant le Chatt-el-Hai et l’Euphrate, vers Korna. Cette voie d’accès contre son flanc gauche demeurant libre, la 6e division se trouvait sous le coup d’une attaque subite et imprévue qui, heureusement, pouvait être évitée. Il lui suffisait de tenir Nasirieh, à la jonction de l’Euphrate et du canal et, ainsi, de barrer ce dernier. Voilà pourquoi sir John Nixon résolut d’envoyer une colonne sur ce point. Confiée au général Gorringe, un vétéran des guerres africaines, l’opération se fit parallèlement à celle de Townshend.

Le 30 juin, les troupes quittent Korna. Pendant des journées entières, elles remontent l’Euphrate entre des rives marécageuses couvertes de cases, semées au milieu de palmiers et de