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mélangent et se complètent, sur ce théâtre lointain, les procédés de guerre anciens et modernes.


Si, dans un conflit aussi vital, la Grande-Bretagne consentait à distraire des fronts principaux d’importans effectifs, il fallait que la Mésopotamie présentât un intérêt économique et stratégique incontestable. Caractériser en quelques mots l’aspect géographique d’un pays est chose malaisée ; trop d’élémens divers s’y rencontrent. Cependant, dans chaque contrée, une note particulière frappe le voyageur. Du sable et des ruines, voilà ce qu’est, le plus souvent, la Mésopotamie. Nulle part on ne rencontre autant de villes mortes. Babylone, Séleucie, Ctésiphon, pour ne citer que les noms illustres, étalent sur un sol aride les restes prestigieux de civilisations détruites. Ce ne sont que vieux canaux à sec, tours écroulées, murs contre les inondations démolis, tombes recouvertes d’une herbe courte que broutent les chameaux. Pourtant, sur les bords de deux fleuves qui enserrent en un gigantesque 8 la Mésopotamie et l’Irak, se dressent parfois d’épaisses et vertes palmeraies. Partout où il y a de l’eau, le sol, fertilisé, permet aux habitans de fonder des villages. Sur l’Euphrate et le Tigre, de grandes villes, quelques-unes vieilles, d’autres de fondation plus récente, jalonnent les rives. Mais sur l’ensemble des deux plateaux vivent seulement quelques millions d’habitans.

Ainsi, rappelant une formule célèbre, nous pourrions dire : Qu’est la Mésopotamie ? Peu de chose. — Qu’a-t-elle été ? Beaucoup. — Et c’est précisément cette ancienne splendeur qui attire les Anglais. Autrefois, Chaldée, Assyrie, Babylonie, furent riches et prospères. D’innombrables canaux irriguaient le pays, donnant naissance à une telle végétation qu’on y situa longtemps le Paradis terrestre. Aujourd’hui même, les bateliers indigènes le placent encore à Korna, où le Tigre et l’Euphrate mêlent leurs eaux. Au temps de Nabuchodonosor, tout le trafic de l’Inde passait par l’Euphrate. De nos jours, l’incurie ottomane a réduit à néant cette grandeur passée. Où le Turc a passé, l’herbe ne pousse plus, et ce proverbe d’Orient n’est nulle part plus vrai qu’ici. Toutes les canalisations, même la principale, le Chatt-el-Hai qui réunit les deux fleuves, sont en voie d’assèchement. De la plupart, seul apparaît encore le lit vide, et