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sa tradition nationale, affiné par son rôle séculaire d’ « agent de liaison » entre les puissances et les mondes, ressent profondément la grossièreté, la balourdise, tout ce qu’il y a d’artificiel et d’inachevé dans la force germanique. Il redoute cette force dont il voit bien qu’aucun droit ne règle le caprice ; il ne peut se contraindre à la respecter.

Un dimanche d’été, je suivais la route boisée qui, au flanc de la colline de Bergendal, derrière Nimègue, trace la frontière de la Prusse rhénane — plus exactement de l’ancien pays hollandais de Clèves ; car là aussi la frontière prussienne consacre une annexion. Entre deux bornes, des sentes forestières se glissent d’un territoire à l’autre ; des fils de fer barrent le passage. Derrière l’un d’eux surgit un lourd grenadier prussien qui, avec une familiarité truculente, commence d’interpeller les promeneurs et promeneuses nombreux sur la route hollandaise. Ses grâces restent sans réponse ; le Germain gesticule et crie si fort qu’un groupe de paysannes esquisse un mouvement de recul.

« N’ayez donc pas peur, vous êtes chez vous, et il y a un fil de fer, » hurle insolemment le grenadier, ployant du poing la symbolique barrière. Les Hollandais s’éloignent.

— Tout de même, dit un homme, ce n’est qu’un fil de fer ; c’est une bonne grille solide qu’il faudrait.

— Ça coûterait bien cher, observe un autre.

— Oui, répond le premier, mais, tu sais, contre les Moffes

Je n’aurai pas l’inutile pudeur de taire ou diminuer les sympathies privilégiées que l’opinion hollandaise réserve à la France en guerre. Nous ne sommes pas à l’heure des fausses modesties. Dans l’intime solidarité qui lie les Alliés, nul avantage n’est individuel, et chacun ajoute à l’honneur commun les faveurs personnelles qu’il a su rallier. Et c’est avec une fierté reconnaissante que j’évoque l’inlassable, le vibrant hommage que le peuple des Pays-Bas rend à notre nation en armes. Sans doute, l’attraction de notre libéralisme, l’intime connaissance de notre esprit ont accoutumé les Hollandais à n’attendre de France que des formes aimables de la pensée et de l’art. Quand les hasards de l’histoire firent camper nos armées aux Pays-Bas, ce fut pour une camaraderie spontanée, tout de suite familiale. Jamais occupation n’a laissé moins d’amertume. Le président du parti socialiste, M. Vliegen, échevin d’Amsterdam, m’en donne cette preuve :