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m’expose cette gêne singulière d’un peuple incapable de mettre en valeur ses bénéfices occasionnels.

« Un an et demi de neutralité et de paix a suffi à doubler notre dette, me dit-il. Ce n’est pas l’improvisation de quelques grosses fortunes qui compensera ce lourd sacrifice national. Notre activité financière devient de jour en jour plus difficile. Nous avons trop d’or, beaucoup trop d’or en caves : 530 millions de florins (1 200 millions de francs) que nous ne pouvons transporter ni échanger et dont il faut assurer la garde au seuil de la guerre... En revanche, notre portefeuille d’effets est retombé à son chiffre de 1866. Nous manquons d’instrumens de travail. Les banques aujourd’hui sont obligées de refuser l’ouverture de nouveaux comptes de dépôts. Le blocus des mers, l’engorgement des échanges sont une contrainte mal surmontable pour un petit pays de grand trafic et de grand transit qui doit ravitailler et faire travailler quarante-cinq millions de sujets coloniaux. »

La plainte est donc unanime. la Hollande passive ressent les réactions, souvent brutales, du conflit européen. Quels vont être les effets de ces réactions sur le sentiment national à l’égard des acteurs de la guerre ?


L’histoire un peu froide et guindée du neutralisme néerlandais s’illumine d’une page émouvante. Pour ouvrir son asile, pour réchauffer l’hospitalité qu’elle prodigue aux Belges, la Hollande a oublié toutes les subtilités de son abstentionnisme ; en face de la détresse où la Belgique accepte la rançon de son honneur, il n’y a plus que des paroles et des gestes d’accueil.

J’ai retrouvé en Hollande les souvenirs de ces jours pathétiques où tout un peuple de rescapés déferla à la frontière : au lendemain de la prise d’Anvers, douze cent mille fugitifs dénués, dolens, passaient l’Escaut en pitoyables colonnes. Spontanément les soldats des Pays-Bas organisent et protègent cet effarant exode. Derrière eux, dans un élan unanime, la population attend, appelle les émigrés. Les quinze mille habitans de Berg-op-Zom abritent et nourrissent la première nuit trente mille réfugiés ; paysans et bourgeois quittent leurs maisons envahies pour aller guider et secourir les pèlerins de l’exil.

L’exil dure depuis deux ans ; l’hospitalité de la Hollande reste aussi franche et généreuse. Les uniformes belges se