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est renforcée : sur une zone de huit à dix kilomètres l’entrepôt et le transit de tous stocks sont interdits, et l’armée concourt au service des douanes.

Tout ce lourd et minutieux mécanisme entre en jeu aussi bien pour l’envoi d’un abat-jour par colis postal (Berlin prétendait lancer la mode d’abat-jour en caoutchouc.) que pour l’expédition d’un cargo de coton. Certes Mijnheer van B... subit sans enthousiasme ces onéreux contrôles. Mais sa résignation est singulièrement allégée par l’élégance de ces libres accords consentis, appliqués par ses propres associés et qui laissent indemne la susceptibilité de son gouvernement : les opérations du NOT sont volontaires, sinon spontanées ; et elles restent hollandaises. En marge de cette guerre, c’est un incomparable crédit fait à la loyauté d’un peuple.

Et ce crédit est bien placé. Mon impression de témoin, — de témoin curieux, — est nette : la contrebande est aujourd’hui réduite en Hollande à des cas anecdotiques. Nos amis des Pays-Bas sont très sensibles à la persistance routinière des accusations formulées par l’opinion française : « Vous voyez ce que vous avez fait de notre commerce, et vous vous obstinez à nous prendre pour un peuple de fraudeurs ! » me disent-ils avec amertume. L’injustice date en effet. L’histoire de la contrebande hollandaise peut être très pittoresque ; mais elle appartient à cette histoire ancienne qui s’achève avec les premiers mois de 1915.

Comment d’ailleurs s’étonner qu’il y ait eu des fraudeurs à ce seuil de l’Allemagne ? J’ai suivi, derrière Nimègue, le capricieux détour d’une frontière dont le tracé tout artificiel coupe les eaux et les bois, sectionne les domaines et les villages, partage entre deux puissances des maisons et jusqu’à une salle à manger. J’entre dans une épicerie hollandaise d’où on sort en Prusse. Penché sur la barrière de son clos, où s’encastrent les bornes inviolables, le paysan fume en Hollande la pipe qu’il a bourrée en Allemagne.

Depuis des mois déjà toutes les voies de pénétration sont barrées par deux banquettes de terre, distantes d’une trentaine de mètres, à l’abri desquelles s’observent les factionnaires, casquette contre casque ; ainsi devint impossible cette ingénue contrebande par jet de paquets d’un territoire à l’autre que les premiers fraudeurs ajoutaient au commode usage des maisons