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La remarque réjouit fort M. Kröller.

— C’est vrai, dit-il, chez Franz Hals, déjà, nous faisons tout le temps nos comptes... Ah ! c’était plus facile qu’aujourd’hui... Que voulez-vous ? Nous n’avons pas d’ambitions territoriales. Au moment où tous les peuples d’Europe parlent de revendications ou de conquêtes, vous ne trouverez guère de Hollandais qui songent à réclamer Clèves ou Emden, qui furent à nous. Nos intérêts sont d’une autre nature. Et les mots mêmes ont pour nous une autre valeur... Ainsi la Meuse... Sambre-et-Meuse, c’est une bien belle marche... mais la Sambre et la Meuse, c’est pour nous des rivières où il faut tâcher de faire passer le plus de bateaux que nous pourrons... Et le Rhin... le Rhin, c’est une question de chalands et de tarifs... Les Allemands, les Français ont fait toute une littérature et beaucoup de musique sur ce pauvre Rhin... Et c’est nous, les Hollandais, qui sommes obligés de le pomper jusqu’à la mer, où il n’est même pas capable d’arriver tout seul...

Entre la thèse gouvernementale et les formules réalistes des hommes d’affaires s’interpose l’infinie série des raisonnemens où l’opinion use ses inquiétudes. L’attitude du Gouvernement est généralement approuvée ; on lui reproche un peu de mystère, sans insister sur des éclaircissemens qu’on craint désagréables. Sans doute, le flegme des hommes d’affaires déçoit les esprits généreux qui voudraient autour de leur prudence un peu d’illusion ; ceux-là mêmes s’avouent résignés. « Notre attitude est sans gloire, me dit l’un d’eux, elle est sans agrément et non pas sans risque. Tous les soirs, nous nous endormons avec l’impression qu’il faudra, le lendemain, être très fâchés contre quelqu’un, sans savoir au juste contre qui. Mais que faire, que vouloir ? Nous n’avons rien à gagner, et beaucoup, peut-être tout, à perdre. L’abstention est une manière de devoir, de devoir envers nous-mêmes. »

Le respect de ce « devoir » est devenu un dogme populaire, qu’il paraît inutile, presque inconvenant de discuter. Par une curieuse auto-suggestion, les Hollandais se croient obligés de subir cette loi de l’abstention qu’ils ont délibérément adoptée ; liés par leur propre volonté, ils en oublient l’initiative pour n’en retenir que la rigueur. Il semble, en vérité, qu’il existe dans quelque code mystérieux et souverain, un article condamnant les Pays-Bas à la neutralité quand même,