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du pays batave. Et voici que, borne pathétique, le Mecklembourg dresse sa misaine au-dessus des lames comme, au bord des routes, ces croix qui commémorent un assassinat…

Nous saluons et passons. Plus loin, tout près de la terre de Hollande, entre cinquante autres épaves, git le cadavre du Tubantia dont s’achève l’autopsie révélatrice.

Ainsi, avant tout contact direct, les réactions de la guerre sur les Pays-Bas apparaissent déjà sous deux aspects essentiels : contrôle exercé sur les routes marines, contraintes imposées à la navigation par les Alliés ; attentats contre le pavillon et la souveraineté des Pays-Bas, destruction de navires, meurtres dont leurs adversaires sont responsables. La Hollande n’est vraiment libre qu’au seuil d’une mer libre : elle subit ici, avec un dommage inégal, les multiples atteintes de l’agression des naufrageurs et des ripostes où celle-ci nous entraine.

À terre, tout de suite, la double obsession se précise. Je débarque en pleine alerte, et, depuis six mois, l’alerte est ici périodique. À l’entrée du port de Flessingue, un brave petit mouilleur de mines est sous pression, surchargé d’engins, prêt à achever le barrage de l’Escaut ; la gare, les ponts sont entourés de baïonnettes ; des voitures d’ambulances attendent à quai ; attelées de chiens enlevés aux idylliques chars des laiteries, des batteries de canons légers se hâtent ; tout autour de la ville, des lignes de tranchées doublent les digues ; l’inquiétude apparaît sur tous les visages.

Le sursaut de l’alarme a rendu ce peuple bavard. Les débardeurs, les employés du chemin de fer s’empressent de donner leurs nouvelles. Hier soir, une fois de plus, les mesures militaires ont été soudainement précipitées : le matériel roulant est concentré, les permissions sont suspendues, les cartouches distribuées. À La Haye, les deux Chambres siègent en séance secrète ; le Gouvernement, sans autre explication, déclare la situation grave. À la vitrine d’un libraire d’Amsterdam un placard annonce le débarquement des Anglais en Zeeland… « Alors, conclut le conducteur du train, comme on parle d’un mouvement des Anglais, nous avons peur que les Moffes (c’est ici le sobriquet du Germain) n’entrent chez nous… » Cet aveu d’un simple, ce premier aveu recueilli dans la sincérité de l’émoi populaire restera la plus exacte définition de l’angoisse qui pèse sur la Hollande pacifique, également défiante des agresseurs