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habité. Les obus français passaient, en rasant le parapet, déferlant vers les lignes allemandes. La poussière, là-bas, jaillissait comme remuée par des pelles géantes. Et toujours dans ces positions s’engouffraient de nouveaux engins.

Devant leur tranchée, à quelques mètres, une mine sauta. On entendit à peine la déflagration dans l’énorme vacarme de la lutte. Une fumée lourde, jaune et dorée montait lentement au ciel, plus dense que la fumée des éclatemens d’obus.

— A moi ! cria Vaissette.

Il se précipita vers l’entonnoir, escaladant la tranchée, faisant quelques pas sur le terrain découvert, descendant dans l’ouverture béante. Quelques hommes l’avaient suivi. Ils se portèrent à l’extrémité du cirque, plus près de l’ennemi. Des fantassins prussiens approchaient en rampant et sautant de trous d’obus en trous d’obus. La bataille s’engagea, presque un corps à corps. Vaissette et trois hommes lançaient des grenades sur les assaillans. Batisti, à ses côtés, tirait avec son fusil, et chaque coup était mortel. Derrière, on distinguait les feux de salve de Fabre, qui soutenait son sous-lieutenant et faisait hâtivement construire un boyau étroit et peu profond jusqu’au cirque.

La folie commençait à s’emparer de ces êtres.

— Dix heures... Encore deux heures avant l’assaut, pensa Lucien.

Les obus français rasaient de plus en plus notre ligne. Leur effet devait être effroyable. Il en tombait tant, à quelques mètres en avant, qu’ils explosaient non plus sur la terre, mais sur un tapis d’éclats de cuivre et d’acier. La mélinite projetait des gerbes énormes. La ligne allemande n’était plus qu’un long cratère de volcan. Le sol, en se soulevant à chaque explosion, semblait bouillonner.

Vaissette tenait toujours dans son entonnoir. Des balles y tombaient en ronflant comme des toupies, des pétards et des torpilles. L’éclatement de ces dernières déchirait l’air avec un bruit de soie si aigre qu’il dominait le tumulte formidable. Mais il y avait autour de l’officier de nombreux cadavres. Batisti et les chasseurs qui restaient avaient quitté leur vareuse, leur sac, leur fusil. Ils étaient en manches de chemise avec leurs musettes brunes bourrées de grenades : ils les lançaient sur les Prussiens couchés devant eux, qui s’obstinaient à ne pas reculer. Deux d’entre eux avaient pénétré dans le cirque :