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sont même point encore une espérance de vie. Jamais l’humanité n’a été aussi grande et n’a gravi de tels sommets.


X. — L’ASSAUT

Quand le bataillon quitta Langebush, par la chaussée pavée, pour regagner les tranchées, les chasseurs ignoraient que l’heure fût arrivée. Le commandant avait appelé les officiers. Il les avait prévenus : « Nous attaquerons demain, à midi exactement. Objectif : les tranchées ennemies, à deux cents mètres des nôtres. Ne dites rien aux hommes avant le matin. » Mais les hommes pressentaient le drame. Et ils regardaient d’un air singulier les maisons du bourg sur lesquelles tombaient la nuit et le brouillard. Reverraient-ils encore des maisons ? Leur marche était une marche à la mort.

L’étape était longue. Enfin, on obliqua dans un champ. Un sergent d’infanterie et deux hommes attendaient là, pour servir de guides à travers le réseau des tranchées jusqu’aux positions d’attaque. On pénétra dans le premier boyau ; on avait brusquement la sensation de descendre dans sa tombe ; on ne participait déjà plus aux choses de ce monde ; on venait de franchir le seuil du néant.

— C’est là ! montra le sergent, au bout d’une demi-heure de marche.

Un à un, les hommes débouchaient dans le fossé boueux.

— Je vous remercie, dit Fabre.

Les fantassins qu’on relevait s’en allaient en silence. Les officiers se passaient les consignes ; Vaissette reconnaissait le secteur : cent mètres de long. A côté, celui du capitaine de Quéré. Il plaçait lui-même les sentinelles et les guetteurs.

Les deux artilleries tonnaient ; elle> échangeaient leurs projectiles avec une régularité d’un rythme large : on eût dit qu’elles respiraient.

Fabre avait retrouvé de Quérc, Richard et Vaisselle. Ils ne songeaient pas à dormir. Ils auraient bien voulu, mais comment sommeiller en ces heures terribles et lucides qui sont peut-être les heures suprêmes de votre existence ? Les hommes aussi étaient tous éveillés. C’était la minute solennelle où l’on règle ses comptes avec sa conscience, où l’on se met en règle avec sa foi. Lucien Fabre déchira deux lettres pour qu’on ne