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— C’est à croire qu’ils ont le génie de la méthode, déclara de Quéré. Cet esprit d’ordre était l’apanage des nations latines. Nous le tenions des Romains, constructeurs de sociétés et de routes. Nous l’avons gardé jusqu’au triomphe de la Révolution, et nous savions en faire usage pour le bien de l’humanité. La Prusse a étudié à notre école, et elle a mis la puissance de l’organisation non pas au service de la beauté morale, mais au service de la force.

Le regard du capitaine, embrumé de rêve, s’illumina :

— La bataille sera terrible. Mais notre pays et son génie sont éternels. La grâce ne nous manquera pas. Nous vaincrons.

— La grâce ? interrogea Lucien.

Il voyait avec étonnement que Vaissette ne protestait pas.

— Nous avons beaucoup réfléchi sur cette guerre, dans les tranchées, répondit le capitaine, comme vous sans doute pendant votre convalescence. Et nous en sommes arrivés, Vaisselle et moi, à la même conclusion. La voici. En apparence, le hasard est le maître de l’heure ; en réalité, c’est un miracle qui fait la longue soumission de nos hommes et leur élan à l’instant propice, et c’est un miracle qui décide de la victoire. Moi, je crois que ce miracle est une grâce de Dieu.

— Je ne crois pas, reprit Vaissette, à l’action divine dans l’histoire humaine ; mais je crois à un miracle des destins, à une grâce permanente que possède le sol. Ce qui nous semble miraculeux, comme ces victoires de Denain ou de Valmy, par lesquelles fut sauvée la France, je l’explique par la volonté du sol de rester français.

Il conclut :

— Qu’il provienne de nos montagnes et de nos fleuves, ou qu’il émane d’une puissance divine, le miracle est le même. Le capitaine de Quéré vient de le dire : « La grâce ne nous manquera pas. Nous vaincrons ! »

Ainsi s’échangeaient entre ces hommes de graves propos. Ainsi s’affirmait, malgré la différence de leurs systèmes leur compréhension identique de la patrie et de ses exigences, après de longs mois de lutte et à la veille d’accomplir le suprême sacrifice.

— J’ai hâte de retrouver mes chasseurs, déclara Lucien. Vaissette l’amena aux deux fermes où logeait la compagnie.

Il avait justement commandé une revue d’armes et d’équipement :