Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le bataillon pénétra dans Langebush. Le cantonnement n’était point à l’abri de la grosse artillerie allemande : la petite cité dressait vaillamment vers le ciel son clocher démoli et ses pans de murs effondrés. Peu de maisons étaient restées debout : leurs toitures s’étaient abimées, comme sous l’effort d’un cataclysme soudain et sous le travail des siècles. Il semblait qu’on traversât une ville morte, quelque Pompéi : pas un être vivant, rien que des décombres, des poutres brûlées et des pierres amoncelées.

La quatrième compagnie eut comme secteur de cantonnement deux fermes à l’entrée de Langebush. On s’organisa comme on put. Le bruit. courait qu’on serait là pour huit jours, afin de se reposer, de mettre toutes choses au point dans le bataillon, et qu’on ne repartirait aux tranchées que pour donner l’assaut.

De Quéré vint chercher Vaissette. Les hommes s’étaient logés tant bien que mal dans les greniers et s’étaient jetés contre le sol recouvert d’une couche de paille, sombrant immédiatement dans le sommeil, comme des brutes. Le capitaine n’avait pas perdu son temps. Il avait découvert, à cent mètres de la route, en plein champ, une ferme toute blanche avec des volets verts. Le soleil faisait étinceler la façade, qui se cachait derrière des pommiers en fleurs. La fermière avait fait bien des façons pour recevoir chez elle ces hommes hirsutes et sales. Ses cuivres brillaient et toutes les pièces reluisaient de propreté : elle avait une petite servante qui frottait le parquet à mesure que se déplaçait le capitaine, pour enlever la poussière et la marque des pas ; elle avait relégué dans une buanderie ses domestiques, hommes, femmes, enfans, pour ne pas salir son intérieur. Pour qu’elle consentît à loger les trois officiers, de Quéré, Richard et Vaissette, il fallut la promesse de stocks de café et de sucre, la bonne volonté visible des ordonnances qui juraient d’astiquer sans arrêt, le charme et les allures de grand seigneur du capitaine. Finalement, la matrone s’était laissé convaincre. Elle vivait avec ses valets et ses filles de ferme, dans la buanderie : sur le fourneau chauffait une immense bouilloire de café où, de temps en temps, on allait puiser un bol. Elle laissa la maison reluisante aux officiers. C’était un cantonnement idéal. On pourrait déjeuner et dîner à son aise dans la salle à manger où trônaient de vieux meubles flamands ; on aurait chacun une chambre avec