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Moskowa. Le village de Laumont flambait. On marchait sur des cadavres. De la crête, le capitaine de Quéré suivait avec son télémètre les bataillons prussiens enfoncés qui traversaient en désordre la rivière, se retiraient vers le Nord. On n’entendait presque plus de bruit. Seule une batterie, qui venait de se mettre en position, apportait le trouble parmi les fuyards. Très haut, un avion français étincelait dans la lumière. Le capitaine avait la tête bandée, car il avait reçu une blessure légère. Il remit son télémètre dans l’étui, et se pencha vers Vaisselle, qui était assis à côté de lui, sur le mur démoli d’un verger. Puis, levant les yeux vers le grand ciel de clarté :

— Mon Dieu, dit-il, je vous rends grâces.

Tout le corps secoué. Vaisselle sanglotait éperdument. :


VIII. — DANS LA TRANCHÉE

Le lieutenant Vaisselle expliqua à ses hommes :

— Quand la nuit sera venue, nous sortirons de la tranchée. Il nous faut creuser un fossé à deux cents mètres en avant. Nous sommes trop loin de l’ennemi pour la grande offensive. La troisième compagnie prendra position devant nous, pour nous protéger contre une attaque éventuelle.

Vaisselle était heureux. Il avait reçu le matin même une lettre de Lucien Fabre lui confirmant sa guérison définitive et son prochain retour du dépôt au front. Justement on reformait le bataillon en vue de l’attaque générale, annoncée pour le printemps. De Quéré venait de recevoir à sa compagnie un officier, le sous-lieutenant Richard. Serres, qui était revenu et avait commandé la quatrième pendant l’hiver, avait pris le commandement d’un bataillon. Vaisselle était seul à la compagnie : on la donnerait, sans aucun doute, à Lucien. Ainsi ils achèveraient ensemble la campagne commencée en Lorraine.

— Il ne manquera que Nicolaï, dit-il. En revanche, nous aurons de Quéré.

Le soir tombait sur les immenses plaines de Flandre. C’était un soir magnifique et doux, la fin radieuse d’une journée de printemps. Le crépuscule s’attardait encore parmi les herbes aussi hautes que les réseaux de fils de fer ; leur vert tendre et coloré se parait de fleurs champêtres et surtout de coquelicots. On eût dit des taches de sang sur le tapis de gazon.