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— En avant !... En avant !

Il agitait ses deux bras en des gestes désordonnés que rendaient fantastiques les lueurs du champ de bataille. A l’Orient, une traînée rouge faisait pressentir le lever du jour. Toute la compagnie, ébranlée par le mouvement, se précipitait comme une trombe, provoquant le déclenchement de tout l’échelon. On était arrivé près du réseau ; mais on ne pouvait plus avancer : nos obus déferlaient encore. On restait étendu sur le sol remué comme par un tremblement de terre. Il y eut quelques minutes d’attente. L’obscurité blanchissait.

Vaissette haussa le buste et cria pour être entendu de ceux qui l’entouraient :

— Vous aller venger le lieutenant Fabre et le capitaine Nicolaï... Faites passer.

Les hommes répétèrent, comme s’il s’agissait d’un ordre.

— Je suis là ! cria Girard.

C’était l’ordonnance de Lucien. On ne savait comment il se trouvait avec la compagnie, mais il était à son poste. On distinguait à présent les camarades les plus proches. Puis, il sembla que les ténèbres avaient disparu, qu’il ne restait plus que du brouillard. Le jour se levait.

— L’aurore, dit le capitaine de Quéré, voici l’aurore !

Il avait prononcé ces mots d’un ton de voix mystique.

Brusquement la canonnade cessa. Au fond du ravin, le commandant faisait sonner un air de chasse sur un cor. C’était le signal.

Vaissette se leva, pâle, ivre d’émotion. Les balles sifflèrent autour de lui. Les mitrailleuses allemandes entrèrent en action. Toute la compagnie était debout, galopait sur le sol fouaillé par les obus, piétinait le réseau défoncé. A droite, à gauche, les compagnies avaient surgi d’un seul mouvement. Toute la ligne, baïonnette basse, se précipitait. Derrière, la seconde vague volait par le glacis en hurlant.

La voix de Vaissette put dominer encore :

— Vive la France !

Et la quatrième compagnie fonça sur la tranchée allemande.

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Le soleil avait surgi tout à coup des brumes : un magnifique soleil rouge, comme il dut briller à Austerlitz, et à la