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On n’eut pas le loisir de contempler longtemps ce spectacle : l’ordre d’avancer venait de parvenir. Le sous-lieutenant Vaissette s’élançait sur la pente, suivi des débris de sa compagnie. Mais on ne put franchir un large espace : des fusées avaient dénoncé la manœuvre, et les Allemands arrosaient tout le terrain de mitraille. De nouveau, il fallut se coucher dans le champ, procéder par bonds. Tragique rappel : les chasseurs refaisaient le chemin qu’ils avaient fait la veille, au cours de leur avance et au cours de leur retraite. On reconnaissait telle motte de terre, qui avait servi d’abri, tel trou d’obus où l’on s’était caché. On dépassait les mêmes betteraves et les mêmes sillons. Par momens on rencontrait un blessé qui râlait depuis le matin précédent ou le cadavre déchiqueté d’un camarade. On retrouva le corps de Roussel. Angielli dut enjamber un mort : c’était Bégou. Cependant les obus pleuvaient. Ils ébranlaient l’air. On se serait cru entouré de murs qui craquaient.

Vaissette et de Quéré avaient pris un parti : ils ne s’allongeaient plus. C’était le seul moyen de ne pas semer de traînards. Ils couraient tantôt en tête de la ligne des tirailleurs, tantôt derrière. Ils étaient de nouveau remplis de confiance : on retrouve tout son équilibre sous le feu. Une sonnerie de clairon dans le ravin venait de les avertir que la seconde vague d’assaut s’engageait à son tour sur le glacis. Ils sentaient derrière eux une masse sur laquelle s’appuyer pour ne pas fléchir. A mesure qu’on avançait, les hommes reprenaient plus d’assurance. Un énervement les secouait, le désir d’en finir, de venger l’échec de la veille, de se trouver en contact avec les casques à pointe et les manteaux gris. Ils frémissaient du désir de vaincre. La bravoure de Vaissette se communiquait à tous ses subordonnés.

A présent, on approchait du réseau. Au commandement de l’officier on se levait, on se couchait, on avançait sous la protection des rafales puissantes d’artillerie. Le sergent Batisti, avec une poignée d’hommes, avait parcouru d’un seul élan une centaine de mètres. Pluchard s’était abattu comme une masse, le ventre ouvert par un éclat d’obus ; mais le groupe de braves était arrivé aux abords des tranchées dans lesquelles tombaient nos projectiles : à la lueur des explosions et des fusées, on voyait leurs uniformes allongés côte à côte. Cette vue fit passer sur la compagnie un vent de frénésie. Angielli se précipitait à son tour, entraînant un autre groupe. Vaissette hurlait :