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l’un de l’autre et que nous demeurions, c’est pour un idéal identique, mon capitaine, que tout à l’heure votre sang et le mien abreuveront ce beau sol français.

Il dit. Et les deux officiers restèrent longuement plongés dans leur rêverie.

La pluie avait cessé de tomber. La nuit prenait cette obscurité plus profonde et l’air vibrait à ces souffles plus froids qui annoncent l’approche de l’aurore. On entendait des pas étouffés descendre du bois. C’étaient les autres compagnies du 36e qui venaient prendre leurs positions d’attaque. Vaissette fît serrer ses hommes vers ceux du capitaine de Quéré. La section de mitrailleuses vint s’installer auprès d’eux. Le chef de bataillon appela les officiers : on attaquerait dans une heure, aucune manœuvre à effectuer, chaque commandant de compagnie n’avait qu’à marcher droit sur l’objectif, la tranchée allemande.

Trois fusées jaillirent du village, montèrent vers le ciel, éclatèrent. On suivait des yeux leur sillage jaune, et leur lumière éclaira le paysage. L’ennemi voulait s’assurer que les pentes de la falaise étaient vides. Comme si elles eussent attendu ce signal, nos batteries entrèrent en action. Le labeur sanglant de la journée recommençait.

— La guerre, c’est se battre tout le temps, déclara Pluchard..

— Et alors ? dit Angielli. On n’est pas ici pour s’amuser.

— C’est égal, affirma Pluchard, je ne croyais pas qu’on se battrait si souvent.

Et c’était bien l’impression de tous les hommes. Ils savaient depuis un mois que la guerre était une chose pénible et dure. Ils ne savaient pas encore qu’elle fût si fatigante et si longue. Ils ne se représentaient pas le temps qu’ils auraient à passer sous les armes, le fil des jours de servitude apportant chacun sa peine et son lot de dangers. Mais ils éprouvaient la fréquence des attaques, la répétition des assauts avec leurs périls. Ils n’avaient ni plainte, ni révolte ; mais ils ressentaient une immense fatigue du corps et de l’esprit..

— Cette fois-ci, les artilleurs nous facilitent le travail, fit le caporal Gros.

En effet, régulièrement, de minute en minute, passait un vol d’obus qui éclataient là-bas sur les défenses ennemies. L’explosion illuminait le trou creusé, comme le cratère d’un volcan, d’où jaillissaient des pierres, de la terre, des matériaux fulgurans.