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rues, soit à domicile, enlevant pêle-mêle hommes et jeunes filles, les expédiant on ne sait où. La mesure allait bientôt se généraliser et s’exercer de façon plus méthodique. Un général et beaucoup de troupes arrivèrent à Lille, entre autres le 64e régiment venant de Verdun; le 29 et le 30 avril, fut affiché l’avis à la population où celle-ci était invitée à se tenir prête à une évacuation forcée. Immédiatement le maire protestait, l’évêque allait trouver le commandant de la place, les doyens envoyaient des lettres indignées; rien n’y fit.

Le samedi saint, à trois heures du matin, les rafles méthodiques commençaient à Lille, par le quartier de Fives; à Tourcoing, par le quartier de la Marlière; à Roubaix. Après une interruption le jour de Pâques, l’opération se poursuit pendant toute la semaine, finissant à Lille, par le quartier Saint-Maurice. Vers trois heures du matin, les rues étaient barrées par la troupe, baïonnette au canon, mitrailleuses en travers de la chaussée, contre des gens désarmés. Les soldats pénétraient dans les maisons, l’officier désignait les personnes qui devaient partir, et, une demi-heure après, tout le monde était emmené pêle-mêle, dans une usine voisine, et, de là, à la gare où s’effectuait le départ. Les mères ayant des enfans de moins de quatorze ans étaient épargnées ; les jeunes filles de moins de vingt ans n’étaient emmenées qu’avec une personne de leur famille. Mais cela n’enlève rien à la barbarie de la mesure. Les soldats de la landsturm rougissaient de se voir employés à pareille besogne. Les victimes de cet acte brutal montrèrent le plus grand courage ; on les entendit crier : « Vive la France! » et chanter la Marseillaise dans les wagons à bestiaux qui les emportaient.

On dit que les hommes sont employés à la culture, à la réfection des routes, à la fabrication des munitions, aux tranchées. Les femmes sont chargées de faire la cuisine et la lessive des soldats et de remplacer les ordonnances des officiers. Aussi, pour ces rudes besognes, a-t-on pris de préférence des servantes, des domestiques, des ouvrières. Dans la rue-Royale, à Lille, il n’y a plus de servantes. Mais il s’est trouvé des jeunes filles de courage dans la bourgeoisie, qui n’ont pas voulu que les jeunes filles du peuple soient seules à partir. On cite Mlle B... et de B... qui ont tenu à accompagner les filles de leurs quartiers.

Les malheureuses gens, ainsi réquisitionnées, ont été dispersées depuis Seclin et Templeuve, jusqu’aux Ardennes. Leur nombre est évalué à environ 25 000 pour les villes de Lille, Roubaix et Tourcoing. Le quartier de la Place à Lille, les communes de Loos, Haubourdin, la Madeleine, Lambersart auraient été épargnées.


Tel est le récit authentique des faits, en une seule page, en un simple rapport, qui devient, par la vertu de la vérité, un acte d’accusation impitoyable, impérissable. Il n’y a pas un mot à y ajouter, mais on peut, à l’aide des pièces mêmes, d’après lesquelles il a été dressé, humbles griffonnages souvent, tout dépourvus de littérature, en renforcer quelques accens. Parcourons donc ce dossier. La principale des