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fameux Michelet, hirsute, couvert de peaux rustiques, et qui, lorsqu’il parle avec ses hommes, ressemble à un patriarche au milieu de sa tribu ; nous avons vu enfin Gérard, le soldat philosophe, toujours préoccupé de problèmes transcendantaux… Et chez tous, à toutes les heures, nous avons trouvé, malgré le labeur intense qui les accable, une grâce exquise et un admirable esprit de justice. »

C’est naturellement au général Joffre que M. Gomez Carrillo consacre ses plus longues pages. Lui aussi, il proteste contre la légende d’un Joffre « taciturne, mystérieux et lugubre, » que dément d’abord sa « bonne et franche figure. » « de terrible il n’y a, dans ce visage, que les sourcils, ces sourcils blancs, touffus et hirsutes, qui auraient suffi à Raffet pour faire une superbe paire de moustaches au plus fier de ses grenadiers. Le reste est fin et robuste à la fois. Fines et presque féminines, les mains, aux ongles de nacre minutieusement polis ; fins, ses yeux verts, fins et malicieux, avec leur reflet d’émeraude, qu’adoucit un fond humide de tendresse infinie ; fin, le profil, malgré la bouffissure pourprée de la face et l’épaisseur des moustaches blanches. Et les manières aussi sont fines. » Ce qui frappe surtout l’écrivain espagnol dans la personne du généralissime, c’est la carrure athlétique, en opposition avec la délicatesse des traits, et il voit dans cet assemblage « le contraste caractéristique de la race. » Le général Joffre lui représente « le type parfait du montagnard des Pyrénées » et lui remet en mémoire les infatigables et intrépides « héros pyrénéens » de la légende ou de l’histoire. Et peut-être a-t-il raison. Il cite un mot assez curieux du généralissime au colonel Echague : « Lorsque j’entends le catalan et le castillan, il me semble qu’on me parle la langue de mon finie. » « Nous sommes d’une noble famille espagnole, » avait dit sa sœur, et, s’il fanion croire M. Gomez Carrillo sur le grand chef, « il y a quelque chose de noble, de noble Espagnol, altier, grave, fier, dans son port et dans son regard. » Mais le père était tonnelier, et l’origine plébéienne se trahit dans la démarche et l’encolure. Sans être à proprement parler éloquent, le général « parle clair, cherchant les termes précis, et il ponctue ses discours par des mouvemens du bras, énergiques et larges. Sa main droite paraît s’emparer des idées, les presser et en exprimer le suc pour l’offrir, à la fin, en un geste net à ceux qui l’écoutent. Tout est action en lui.