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richesse, » de quel côté « les vertus nationales ; » et les neutres, comme M. Gomez Carrillo, pourront alors se livrer à d’instructives comparaisons.

En face de cette brutalité, de cette basse immoralité, de ce grossier matérialisme dont la nation « élue » a donné tant de preuves, quelle a été, quelle est encore, d’après l’écrivain espagnol, l’attitude des populations civiles françaises ? A l’égard des envahisseurs, ce qu’elles éprouvent, c’est sans doute de la haine et de la colère, mais c’est peut-être surtout du mépris. Même sous la botte allemande, elles ont le sentiment profond, indéracinable, et qui se traduit de mille manières, de l’irréductible supériorité française. Elles sont d’une autre race que ces sinistres vainqueurs d’un jour ; elles ont un autre idéal ; elles ont une autre âme ; bref, elles appartiennent à une humanité supérieure. Elles souffrent, mais elles sourient quand même : elles se moquent des grotesques combinaisons de couleurs que les lourdes Allemandes improvisent avec les élégans produits de leurs vols. « Je me rappelle encore, dit un médecin de Raon-l’Etape, la face d’une bonne Teutonne, grasse, imposante et blonde, qui se mit un costume de ma femme et qui s’en allait par ici, étouffant et demandant où elle pourrait trouver un corset parisien. » Et ce sourire, que M. Gomez Carrillo a failli trouver « presque criminel » parmi tous ces spectacles de deuil et de désolation, l’écrivain se rend vite compte que, bien loin d’être une preuve d’insensibilité, de légèreté ou de faiblesse, il est au contraire un signe de force, « le bon sourire qui cache les grandes douleurs et qui pousse aux grandes actions, » et ce que Rudyard Kipling appelle « l’invincible bouclier de la France. » « Peuple sublime, s’écrie-t-il, combien mal te connaissent ceux qui, en te contemplant parmi tes ruines, ignorent que le sourire est la fleur divine du véritable héroïsme ! »

De fait, ce n’est pas à l’armée seulement que fleurit le véritable héroïsme. Dans les villes bombardées, les habitans s’obstinent à rester, enfans, femmes ou vieillards, sous mille prétextes, « curieux de vivre une perpétuelle vie de périls, d’émotions, d’effroi. » A Reims, c’est la propriétaire d’un hôtel qui refuse de partir, et les deux garçons de salle qui l’assistent, et qui voudraient bien s’en aller, restent eux aussi pour ne point l’abandonner : « Je ne sais, dit-elle, comment nous sommes encore en vie… Depuis des mois que cela dure !…