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Allemands en avaient le double. Nous avons tenu bon… Maintenant, nous sommes à forces égales. » Au quartier général de la 5e armée, M. Chavannes est reçu par le général Franchet d’Espérey, et par ses officiers d’état-major avec une camaraderie charmante : le déjeuner qu’il fait en leur compagnie lui laissera un délicieux souvenir, tant il fut « agréable, plein de bonne humeur et de gaîté. » Quant au général, voici son portrait : « Un homme encore jeune, noir de cheveux, trapu, au profil fin ; je le comparais dans mon esprit à une courte hache, carrée, solide, au tranchant aiguisé. » Et le journaliste ajoute : « Je ne puis dire assez la bonne volonté qui m’a paru régner dans cet état-major, comme je l’avais vue d’ailleurs régner dans toute l’armée, une extrême bonne volonté de tous. Et une grande abnégation ! Pas plus le général que ses officiers ne semblait penser à soi et à ses succès personnels : la France, voilà celle de qui uniquement ils ont souci, prêts, j’en ai eu l’impression, à faire abstraction de leur personne, s’il le fallait. Une parfaite confiance d’ailleurs. » Et sur l’entrain, le parfait naturel, la santé morale, la cohésion, la décision, l’intimité confiante qui règne à tous les degrés de la hiérarchie militaire, il ne tarit pas. « Deux ans de campagne comme cela, et la France sera de nouveau un peuple où la discipline s’accordera avec la familiarité, l’ordre avec la liberté, un peuple incomparable, le premier peuple du monde, une fois de plus ! » Sachons à notre armée un gré infini d’inspirer à un étranger ces sentimens d’admiration et de réconfortant optimisme.

Venons-en enfin à nos modestes soldats, à tous « ces braves gens qui vivent dans le danger, l’affrontent sans cesse avec courage, avec gaîté et qui, agissant toujours, ne prononcent que des paroles simples et raisonnables. » Tous ceux qui les ont. vus à l’œuvre souscriraient à ce mot d’un de leurs chefs : « Nos soldats ? c’est à se mettre à genoux devant eux. » M. Vallotton, qui a parcouru quelque trois cents kilomètres du front, constate « partout, malgré la pluie, malgré le vent, malgré les champs délavés où l’on enfonce jusqu’à la cheville, le même entrain, la même bonne humeur, la même volonté de vaincre, » et le même espoir et la même certitude de la victoire. — « Mot de passe : le sourire ! nous dit une sentinelle transpercée jusqu’aux os par la pluie glaciale. Et l’on est confondu de tant de courage-paisible, d’une si belle vaillance devant la tâche monstre. »