Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marne y est passé à l’état de symbole, et nous savons qu’en Allemagne même on ne lui marchande ni le respect, ni l’admiration. La légende est là qui le guette, et je ne serais point étonné que l’on eût déjà transformé, simplifie, à l’usage des imaginations populaires, les principaux traits de sa personnalité morale. De ce méditatif, on a fait un « taciturne ; » de cet homme remarquablement équilibré et d’un si merveilleux sang-froid, on a fait un « impassible. » Ne nous en plaignons pas : c’est la condition et la rançon de la gloire, de la gloire militaire surtout, cette gloire dont l’auréole est faite de gratitude, d’affection, de confiance et de fidèle admiration. Mais il n’est pas mauvais, de temps à autre, de se remettre en face du modèle vivant, et de recevoir l’impression directe de cette puissante sérénité qui se dégage avec tant de force de ses moindres attitudes. « Ce que la photographie ne rend pas, écrit M. Wagnière, et ce qui apparaît tout de suite chez le général Joffre, c’est la distinction de sa personne, son extrême simplicité, son manque d’apprêt, l’autorité de son geste sobre, le regard sérieux d’un homme qui a conscience de ses responsabilités… Il parle lentement, d’une voix chaude, un peu basse, avec un léger accent du Midi. » Il a le temps de lire les journaux, puisqu’il félicite le directeur du Journal de Genève des chroniques militaires du colonel Feyler : « Sans posséder les élémens de fait qui sont dans les mains des états-majors, il a su, dit le général Joffre, deviner la vérité. » Et quand les journalistes rassemblés lui adressent leurs remerciemens, « le général écoute d’un air grave, le buste légèrement penché en avant, la main droite pendant le long du corps, la main gauche à la hauteur de la poitrine. Puis il prononce ces mots : « Nous n’avons pas voulu la guerre ; elle nous a été imposée. Mais la nation est décidée à tous les sacrifices ; elle fera tout son devoir jusqu’au bout, jusqu’au triomphe final. Et ce triomphe, nous l’aurons. »

Cette foi absolue dans la victoire finale est partagée par tous les soldats français, depuis le général en chef jusqu’au plus humble troupier. MM. Wagnière et Chavannes ont été présentés à plusieurs généraux, et ils se louent de leur simplicité, de leur bonne grâce, de l’amabilité de leur accueil. A Verdun, c’est le général Sarrail qui explique le rôle de son armée pendant la bataille de la Marne : « Je n’avais que trois corps d’armée. Les