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françaises, le bombardement recommence. Il faut que Reims paye pour Paris, reçoive les obus incendiaires qui étaient destinés à la capitale. Bombardement systématique, sans aucune nécessité militaire, — il va sans dire que le soi-disant prétexte des canons français installés sur la place et des postes d’observation établis sur les tours de la cathédrale est, de l’aveu de tous les témoins, un mensonge et une absurdité, — et bombardement qui ne s’explique que par le désir d’assouvir une basse vengeance, l’espoir d’affoler un peuple brave et l’orgueil d’étonner le monde par une folle rage de destruction. Et depuis lors, ce sont les maisons qui s’écroulent, les incendies qui s’allument, les victimes innocentes qui tombent, c’est la vie dans les caves. Au mois de décembre 1914, on parlait d’un millier de victimes, d’un demi-milliard de dégâts ; un tiers de la ville était rasé, un autre tiers très endommagé, le dernier tiers à demi indemne.

Quant à la cathédrale, l’impression qu’elle laisse, c’est celle d’un accablement morne et d’une infinie tristesse, comme devant quelque chose d’odieux, d’irréparable et d’inutile. « Devant le désastre, on demeure sans parole, » écrit M. Vallotton. Et M. Chavannes : « . J’avais vu déjà bien des ruines… J’étais fait à l’épreuve, j’étais blasé et un peu fatigué, peu disposé à m’exagérer les choses : j’ai été frappé d’une stupeur incomparable. Pendant un long moment, je suis resté là, interdit. Cela dépassait tellement ce que j’attendais !… Ce n’est plus une cathédrale, une vivante œuvre d’art ; c’est un corps, c’est un cadavre déformé de cathédrale. L’impression qu’on ressent devant un cadavre encore contracté par une mort violente, on la ressent seule ici : l’horreur. »


Suivons nos voyageurs directement sur le front, et recueillons leurs impressions sur la vie et le moral de nos soldats. A Jove principium. L’un d’eux, M. Georges Wagnière, a eu la bonne fortune d’être présenté au généralissime. Je suis sûr que ce dut être pour lui l’un des meilleurs momens de son voyage en France. Nous sommes, avec raison, très fiers entre nous de « notre Joffre ; » nous le serions peut-être davantage encore si nous pouvions nous représenter avec exactitude l’extraordinaire popularité du général en chef à l’étranger. Le vainqueur de la