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Rapprochons-nous de la ligne de feu. Ne nous attardons pas trop avec nos guides sur les champs de bataille où, hier, s’est déroulée la plus formidable action de l’histoire. Les impressions qu’ils en ont rapportées, ce sont celles que nous en rapportons tous, quand nous allons, même longtemps après, en pèlerinage à ces lieux sacrés où le plus noble sang français a coulé pour le salut de la France et du monde. A les visiter aujourd’hui, comme l’on comprend que la bataille qui s’est engagée là, dans ces plaines aimables, parmi ces coteaux modérés, au sein de ce clair paysage français, devait être la rencontre décisive de cette guerre inexpiable ! En avait-il conscience, le généralissime qui, d’un geste, arrêtait là l’épuisante retraite de ses soldats et les lançait sus à l’ennemi ? Se disait-il que, semblables au géant de la fable, ils reprendraient force et courage au contact de la terre maternelle, et qu’une sorte de genius loci allait désormais veiller sur eux et soutenir leur élan ? Comme on voudrait connaître les pensées qui agitaient alors son âme, et les émotions, les alternatives de crainte et d’espérance par lesquelles il dut passer ! Comme on voudrait le revoir des yeux du corps et le suivre par l’esprit dans ces journées suprêmes !… Il semble bien que personne, sur le moment, n’ait vu toute l’importance et toute l’étendue de la victoire française. Comme tous les grands événemens de l’histoire, elle n’a pris son véritable sens et sa portée symbolique que peu à peu, avec le temps, en venant d’elle-même se ranger dans la perspective historique. Mais cette confiance presque mystique dans la victoire finale que nous avons tous, et qui étonne et confond un peu l’étranger, c’est de la victoire de la Marne qu’elle date. Le jour où la redoutable infanterie de l’armée d’Allemagne a reculé devant les armes françaises, ce n’est pas seulement une puissante armée allemande, c’est l’Allemagne elle-même qui, sur un champ de bataille français, a été vaincue par la France.

De ce gigantesque effort, de cette lutte véritablement épique, les souvenirs matériels commencent à devenir rares. Des villages bombardés, des maisons incendiées et pillées, des églises détruites, — je ne sais guère de plus douloureuse vision que les ruines lamentables de la pauvre église de Barcy, — et,