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deviendrait un « Reichsland » sous le régime d’un « statthalter » casqué, et servirait de base à la thalassocratie germanique dans la Méditerranée. Ce n’est pas là un vain songe impérial ; mais c’est l’énergie bien tendue de toute une race qui veut, au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest, modeler la matière humaine à sa ressemblance. Je crains que nous n’en soyons pas assez convaincus, même devant les horreurs récentes… L’idéal d’un peuple digne de vivre ne précède pas ces faits, — mais il est l’irradiation de ces faits ; — jamais, même aux époques d’esclavage et de honte, jamais ne fut plus impérieuse la nécessité de l’action.


Toute la presse de la Péninsule publia, commenta, discuta, avec une fièvre contagieuse, les paroles de « l’Interprète de signes et de songes, du Révélateur de figures cachées. » L’Italie prenait feu à la flamme dont brûlait son grand citoyen volontairement exilé. A son exhortation formidable, formulée à Paris, en juin 1914, à notre Sorbonne, lors de l’émouvante séance de la « Confédération latine, » l’Italie répondit par des cris d’approbation jaillis du fond des consciences, et projetés à la manière dont les laves surgissent du cratère des volcans italiens et submergent les cimes.

Ainsi, dès les premières journées de la guerre, Gabriele d’Annunzio s’était acharné à livrer, à côté de nous, le grand combat pour la cause latine et l’accord des deux patries. Dès lors, il a vu poindre, se lever, pour son Italie, le jour de pourpre. Dès lors, il n’a cessé d’appeler le moment sacré, où délivré des cauchemars de la honte, il rentrerait dans sa patrie et, par sa parole, non plus lointaine, mais vivante, mais proche, — prophétique comme le songe des prophètes, — il donnerait au pacte latin qui devait s’accomplir la plus éclatante confirmation nationale. Et le voici à Quarto pour la Sacra dei Mille.

On est aux premiers jours de mai 1915. Le poète a quitté le sol de la France. Il a voyagé les yeux voilés par l’émotion, sans rien voir. Il a reconnu seulement le visage de la Patrie ; il en a bu seulement l’air enflammé. Il a senti les âmes tendues. Les villes n’y étaient plus de pierre, mais toutes faites d’humaine substance. Au bord de l’Adriatique, il a salué Gênes qui escalade le ciel par toutes ses terrasses. Il lui a apporté un don de vie, lui a annoncé une victoire. Il a imploré des siens un acte de foi :


…Haut les cœurs, plus d’hésitation, plus d’angoisse, plus de courroux, plus de honteux marchandages ! Nous ne laisserons pas déshonorer l’Italie, nous ne laisserons pas la Patrie périr en ce printemps douloureux ! Ici on renaît ! Ici on fait l’Italie plus grande I Que le sort s’accomplisse ! Que ce