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bonheur est si profond, qu’il ne sent même pas la douleur physique que lui cause une brûlure de l’essence répandue sur son pied.


Il est une vertu qui revêt aisément chez les hommes la couleur d’une Religion : c’est le Patriotisme. Il a, avec la religion, ce lien direct : au nom d’un idéal très élevé, il impose à celui qui s’y livre la nécessité du sacrifice. Comment les anciens Romains qui consultaient, avant d’aller se battre, les entrailles des animaux, et, après la bataille., s’annexaient les dieux des peuples vaincus, ont-ils pu pratiquer avec grandeur les plus hautes vertus militaires ? C’est que, en dehors des temples, ils adoraient l’Idée même de la Patrie avec une force d’amour telle qu’elle leur faisait faire avec joie le sacrifice de leur vie.

Depuis sa vingt-cinquième année, par ces Odes navales sur lesquelles palpitent comme sur l’azur méditerranéen les trois couleurs, Gabriele d’Annunzio a aimé et ranimé les espérances de sa patrie d’une ferveur croissante. Avec ses los, — si splendidement inspirés qu’il faut remonter aux lyriques grecs pour retrouver avec une langue si châtiée une telle vigueur d’accent, — il est entré sur le terrain de la politique militante et, bien avant la guerre, il faisait « caviarder » par le ministère Giolitti des vers contre l’Autriche que son audace et sa passion pour son pays l’avaient poussé à écrire. D’Annunzio ne s’effraya pas de cette leçon ; au contraire. Dans les audacieux poèmes épiques nationaux que sont ses Chants des gestes d’Outre-mer, il clama prophétiquement, avec un rare sens héroïque de l’action, l’enthousiasme, la foi, les exploits futurs de l’Italie contemporaine guerrière. C’est l’âme même d’un peuple qui s’élance, éclate en puissance de vie, en passion d’énergie. On lit en exergue sur une page du volume cette presciente vision, empruntée à son Chant augural pour la nation élue, publié dès 1901 :


… Que tu voies un jour la mer latine se couvrir — de carnage à ta guerre, — et pour tes couronnes se plier tes lauriers et tes myrtes, — ô toujours renaissante, ô fleur de toutes les races, arôme de toute la terre, Italie, Italie consacrée à la nouvelle aurore avec la charrue et la proue.


Le poète est sûr de la nécessité d’une « union latine. » Auguralement il la voit décidée et conclut : Hélène, duchesse