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serait prisonnière et où le possédé d’amour s’épuiserait à la recherche de l’inconnu. Ce qu’avait poursuivi, à travers les licences de sa libre audace, ce héros des héros qu’est Gabriele d’Annunzio lui-même, ce n’avait pas été cette « cause première, » dont la sensation confuse occupe l’élite de l’humanité. Rarement le romancier avait paru se ressouvenir du Ciel. Quelle était donc la notion nouvelle qui traversait le dernier roman comme un rayon glissé dans des demi-ténèbres, et soudain éclairait l’invisible ?

Pour se sauver de l’avilissement et de la destruction qu’une femme lui apportait, Paolo Tarsis, le héros du dernier livre annunzien se connaissait deux refuges : l’amitié virile et la mort. L’amitié venait de lui manquer. Dans son métier de constructeur d’ailes, il avait eu un cher compagnon qui avec lui avait poursuivi le rêve icarien. Il avait vu cette terrible chose : son ami tomber des nuages, s’écraser à ses pieds. Restait donc la mort. Paolo Tarsis va se tourner vers elle. Il veut la trouver au sommet de ce songe ancien, dont les bras d’une femme perverse l’avaient arraché. Dans son chantier déserté, il ira chercher l’aéroplane qui se rouille, il se lancera vers la voûte bleue ; il se laissera tomber du ciel.

Avec son appareil ailé Paolo Tarsis arrive au point de l’espace d’où le héros fraternel a été précipité. Il tremble à la pensée, peut-être impie, de surpasser l’Ombre chère. Perplexité sublime qui dure quelques secondes. Puis, avec sa douleur en croupe, il s’élève plus haut, toujours plus haut — vers la Victoire, supérieure a tout.

Et voici que, parvenu à cette hauteur de miracle et d’héroïsme, Paolo Tarsis, ou plutôt Gabriele d’Annunzio, sent les ailes qui le portent s’élancer avec une souplesse de prodige. Pourquoi résister ? Aussi bien tomber plus loin, ailleurs. Mais l’oiseau divin est en humeur de conquête. Il plane, il avance, il est maître de l’Infini. La terre fuit sous son vol : les villes, les fleuves, les campagnes passent. Voici la mer, voici l’autre rive de la mer. Voici, belle et triste sur ses bords, la fière Sœur exilée.

C’est là que l’aviateur viendra, à la fin, par sa volonté reconquise, atterrir sans secousses. Il partait pour la mort ? Il vient de découvrir la raison de vivre. Au-delà de ce que l’homme connaissait, il a vu s’ouvrir, devant son énergie, comme aux temps prédestinés, le domaine des espérances illimitées, et son