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Voici le début de leur règne :

« L’entrée de Paris est interdite à toute troupe régulière ; tous les citoyens valides sont enrôlés dans la Garde nationale. Ils ont nommé à tous les ministères ; les scellés sont apposés sur la caisse des Compagnies d’assurances ; les entrepôts de tabac saisis sont au pillage ; la monnaie requise et frappée ; les postes arrêtées, même pour Paris. Déjà des réquisitions frappent les marchands de denrées alimentaires, charcutiers, épiciers, cabaretiers. Corazza, au Palais-Royal, nourrit par jour cent frères et amis. Ils prennent partout où ils peuvent prendre, mais ce grattage ne saurait durer longtemps ; l’administration de Versailles, en suspendant tous les services, leur a partout coupé les vivres ; l’octroi, sur lequel ils comptaient, ne fournit que des sommes relativement insignifiantes. Ce n’est pas cent ou deux cent mille francs qu’il leur faut par jour, c’est cinq ou six millions par semaine, pour payer le courant… De gré ou de force, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas, le pillage leur est imposé comme une nécessité absolue. En auront-ils le temps ? Là est toute la question.

« Quelle est au fond la situation vraie ? ceci est plus difficile à déterminer. Moi qui ne suis pas dans les coulisses, je ne peux vous donner qu’une appréciation toute personnelle. Il n’est pas douteux que Paris ne soit las de cette servitude, et ne se sente profondément humilié ; cette impression de la bourgeoisie commence à s’étendre au peuple ; on rencontre plus de blouses et d’ouvriers en journée ; les femmes d’ouvriers poussent leurs maris à rentrer dans les ateliers ; les processions de gardes nationaux armés sont regardées par tous avec un mépris évident. Mais de cette désapprobation tacite à une résistance ferme, énergique au besoin, la distance est encore considérable. C’est toujours le danger qui retient : « Ils ont des canons, » voilà le grand mot, et cet épouvantail retient beaucoup d’honnêtes gens. On souffre, mais on ne veut pas courir le risque de mourir. — En attendant, le Comité arrête ceux-ci, ceux-là, sous les prétextes les plus futiles ; il veut des otages qui garantissent la sécurité des plus compromis. Du reste, il faut bien le dire, la division commence à se mettre parmi ces malfaiteurs, et déjà on peut distinguer chez eux trois partis tranchés, qui, par la force des choses, s’attaqueront et se détruiront. La question de temps seule est grave, et il importe que cette