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Enfin, il y a une dernière lettre écrite pendant le Siège. Il faut la lire tout entière pour se figurer au vrai la force d’âme incroyable des assiégés de Paris, exténués de faim et de froid, séparés du monde depuis quatre mois, bombardés à mort depuis trois semaines, — leur résolution inébranlable, et qui durait encore après la bataille de Buzenval, après l’émeute du 22 janvier. Il faut la lire avec fierté, avec respect :


« Mes chers enfans,

« Deux mots seulement. Nous venons de passer une triste semaine. A la journée du 19, le pauvre Trochu a perdu la tête, et sa dépêche désolée était une inconcevable exagération. Nos pertes sont peu sensibles ; on les évalue à 1 500 hommes ; c’est beaucoup, si l’on compte le deuil et les larmes ; ce n’est rien en comparaison du sacrifice qu’il faut accepter. Quant à l’émeute de dimanche, elle a duré vingt minutes, deux décharges, quelques victimes, tout a été fini. La question des vivres seule est grave. — Je ne vous parle pas de Chanzy ; vous en savez plus que moi… Le général Vinoy remplace Trochu. Il ne me paraît pas possible que ce brave général ait accepté seulement le triste devoir de signer la capitulation de Paris. On va donc se battre à outrance, Nous jouons notre dernière carte. S’il faut un miracle, d’honnêtes gens peuvent le demander à Dieu. La ville de Paris se doit à elle-même de ne pas offrir seulement à la patrie la résignation de son appétit aux abois. Ne nous dissimulons pas la gravité du péril ; chacun de nous peut y tomber. — Vous savez si je pense à vous ; pensez à moi, et priez Dieu pour la France… » (23 janvier 1871.)

Une semaine de plus. Toute cette fièvre, tout cet héroïsme s’éteint, et ne laisse plus vivant qu’un seul désir angoissé : avoir des nouvelles, — savoir : « Je n’ose penser. J’attends avec un sentiment d’angoisse que je n’ose exprimer. Je recueillerai tout mon courage pour ouvrir la première lettre. » (2 février.)

Cette première lettre arriva le 7 Aucune douleur personnelle ne s’ajoutait aux malheurs de la patrie. Tout allait bien. Les cœurs restaient brisés, les espérances confondues, l’avenir noir. Mais enfin on pouvait se reprendre à vivre, et la tragédie semblait finir.

Il restait le lugubre épilogue.