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part. Le 9 janvier, M. Girard avait dû installer un dortoir, pour ce qui restait d’internes, dans une des caves, et s’était installé lui-même avec sa famille dans la cave voisine.

Le mercredi matin 11 janvier, sur ordre du Ministre, tous les lycées de la rive gauche durent fermer leurs portes. A huit heures, comme de coutume, ce jour-là (que je ne puis oublier), Aubert était venu faire sa classe. J’ai raconté ailleurs cette dernière classe[1], — comment Aubert, quand nous fûmes assis sur nos bancs, — nous étions six en tout, si j’ai bonne mémoire, — prit un livre, et, ainsi qu’il faisait souvent, se mit à lire et à commenter. Le livre était un Thucydide, et le passage choisi, le discours de Périclès sur les jeunes Athéniens morts pour la patrie. Jamais Aubert ne fut plus éloquent. Après qu’il eut fini cette magnifique leçon de patriotisme, il nous annonça sans phrases que le lycée, jusqu’à nouvel ordre, fermait ses portes, — et il nous embrassa tous les six.

Quant à lui, à peine libre, il reprit ses explorations. Voici, je pense, la dernière :

« J’arrive à l’instant d’Aubervilliers où j’ai passé deux jours, et j’apprends que l’ennemi a continué sur nos quartiers son œuvre de bombardement. Ma rue n’a pas été visitée de nouveau, mais à partir du boulevard Saint-Michel, et de la rue des Ecoles, c’est toujours la même pluie de projectiles. Je vous écris en toute hâte pour vous rassurer à mon égard. Demain, c’est-à-dire dimanche 15, je vous écrirai plus longuement. Les dommages matériels, quoique sérieux, ne mettent pas en danger le quartier. Malheureusement, il y a eu quelques victimes. C’est une œuvre de sauvages, qui ne restera pas impunie. Ma lettre de demain sera remise lundi à la poste, pour que son départ soit plus assuré. Ne vous inquiétez pas, et soyez certains que je prendrai pour moi toutes les précautions nécessaires.

« J’ai assisté cette nuit, dans la plaine Saint-Denis, à un engagement qui a duré trois heures. Les Prussiens ont attaqué la Courneuve et Drancy, avec force artillerie. Ils en ont été pour leurs frais. Ces combats de nuit ont un aspect terrible ; mais l’obscurité rend le tir moins sûr et moins meurtrier. On s’attend toujours à une grosse affaire ; mais tout est subordonné aux nouvelles que nous recevrons de vous. »

  1. Le Correspondant, 10 février 1915.