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l’artillerie ennemie bombarde les forts : « Plus de 3 000 bombes ont été lancées sans résultat appréciable ; les obus portaient mal et tombaient le plus souvent en avant des forts. Nous avons eu huit morts et cinquante blessés, dont quatre officiers de marine. C’est à recommencer. Mais je vous défie d’imaginer une pareille musique ! De huit à dix heures, le bruit était formidable. C’est seulement à cinq heures qu’on a su le résultat. Paris ne s’est ému en aucune façon de ces menaces. On veille et on est sur ses gardes. » On se plaint bien plus du froid. La misère du peuple est digne d’une grande pitié. Le 31 décembre, Aubert est de garde : il a devant lui la plaine morne et glacée : « C’est là, dit-il, que je verrai finir cette sinistre année. »

Pourtant le 5 janvier 1871, la douce âme poétique de l’empereur Guillaume s’était épanouie en ce billet fameux adressé à sa pieuse épouse : « Le bombardement de Paris a commencé aujourd’hui, par un splendide soleil d’hiver. »

Le bombardement fut accepté par la ville avec un calme et une gaieté que tous les historiens ont constatés. Le temps était beau, le froid beaucoup moins vif, et chacun voulait voir le nouveau spectacle inédit que l’ennemi nous donnait. Je me rappelle moi-même avoir fait des patrouilles pour empêcher les curieux de s’approcher des lieux où les obus tombaient le plus dru. Aubert écrit :


« Mes bons amis,

« Nous venons de traverser une rude journée ; le bombardement direct de Paris est commencé ; dans la nuit de mercredi, vers onze heures, les Prussiens ont ouvert le feu et jusqu’au lendemain six heures du soir, ils l’ont entretenu avec une régularité édifiante. C’est notre quartier qu’ils ont honoré particulièrement de leur attention ; par-dessus les forts de Montrouge, de Vanves et d’Issy, ils faisaient pleuvoir des obus sur la rue Mouffetard, Montrouge, le cimetière Montparnasse, et une partie de Grenelle. Quelques projectiles sont tombés sur le boulevard Saint-Michel, à la hauteur de l’Ecole des mines, et sur le Luxembourg. Comme tapage, c’était effrayant. Comme résultat, sur les édifices et sur les maisons particulières, il en reste à peine une trace ; quant à la population, trois ou quatre personnes ont été atteintes, malgré la curiosité qui attirait à ce