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en retire que de la discipline à laquelle l’individu est astreint. Telle a été, chez nous, la leçon philosophique de 1810. La Russie n’a encore trouvé ni son Renan ni son Taine. Et nous savons bien qu’on reproche justement à la bureaucratie ce qu’elle n’a pas fait dans la guerre de 1914. Mais quel esprit dressé aux bonnes méthodes voudrait faire l’expérience de ce qui se fût passé si la Russie, au moment où elle devait affronter cette tourmente, eût été privée d’un des instrumens historiques de sa vie, de son développement et de son expansion nationale ?

Nous avons beaucoup entendu dire qu’on verrait « du nouveau » en Russie après la guerre. « Du nouveau, » c’est un mot qui se prête à bien des interprétations. Une rénovation peut se concevoir de bien des manières. Et souvent nous avons pensé au grand patriote russe qui, au commencement du XXe siècle, avait entrepris de rénover son pays et de réformer au lieu de révolutionner. Stolypine avait prévu les orages européens. Il avait voulu mettre la Russie en état de résistance et, pour cela, il l’avait réorganisée et fortifiée à l’intérieur. Avant lui, la Russie avait eu un empereur à l’esprit vaste et au cœur généreux, qui avait commencé une œuvre semblable à la sienne : Alexandre II a été assassiné. Avec Stolypine, la Russie a eu un ministre qui, ainsi que le proclame, à Kief, l’inscription de sa statue, a mérité la reconnaissance de la nation russe : il a été assassiné encore… Contre Stolypine, dont on oublie les services, et qu’on accuse d’avoir « consolidé la réaction, » il subsiste des rancunes qui n’ont pas désarmé. Ce serait à désespérer de la raison et du progrès, si cet homme d’Etat n’avait laissé aussi des admirateurs et des élèves. Et nous avons été frappés de voir son portrait à la place d’honneur dans bien des maisons : chez un octobriste comme M. Goutchkof ou chez un nationaliste comme le comte Bobrinski. Son école est celle de la politique nationale et du bon sens. Ceux qui la représentent, c’est par exemple M. Sazonof qui vient de quitter, vaincu par la fatigue, un poste où il s’est montré à la fois patriote russe, fidèle ami de la France et bon Européen. C’est encore M. Krivochéine qui a été au pouvoir et qui sans doute y reviendra. Il semble qu’il y ait là une précieuse réserve pour la nation.

Les Russes aiment citer ce mot d’un de leurs poètes : « Avec l’esprit, on ne comprend pas la Russie. Avec une