Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enquête. Tout ce qu’on peut demander au voyageur, c’est de rendre compte des signes qu’il a été à même de recueillir. En voici deux, parmi d’autres, qui expriment, d’une façon presque symbolique, la volonté de la Russie résolue à forger les instrumens de sa victoire.


Lorsque Napoléon fut arrivé en vue de Moscou, il s’arrêta longuement sur une éminence d’où la ville aux innombrables églises apparaît. Le « Mont des Moineaux » est une des promenades préférées des Moscovites. De là, quand le soir tombe et que le soleil s’incline sur les tours farouches et bizarres du Kremlin, allumant les bulbes dorés des cathédrales, la vaste cité où bat le cœur de la Russie semble encore plus mystérieuse.

Naguère, au pied de cette colline où Napoléon a médité et peut-être aperçu pour la première fois la folie de son entreprise, une usine allemande s’élevait. C’était la succursale d’une célèbre maison de Francfort, une des plus grandes fabriques de produits chimiques qui soient au monde. L’installation en était parfaite, le laboratoire peut-être le mieux monté, le plus complet qui existât en Russie. La bibliothèque était composée avec un choix excellent. Là, tout se trouvait réuni pour produire beaucoup, pour travailler vite et bien. En pleine guerre, des chimistes allemands y travaillaient même encore, lorsqu’un officier français, membre de notre mission technique en Russie, à la recherche d’ateliers pour le chargement des obus, découvrit l’an dernier cette oasis scientifique. D’abord, il fit envoyer les chimistes au fond de la Crimée. Puis, exploitant l’organisation allemande avec le réalisme de France, il adaptait, en quelques semaines, à la fabrication des munitions de guerre, les bâtimens de la société de Francfort. C’est ainsi qu’au pied du Mont des Moineaux, où le souvenir de Napoléon vit encore, l’ancienne usine de nos ennemis est devenue, par la collaboration franco-russe, un des centres d’approvisionnement les plus actifs de l’artillerie de nos alliés.

Depuis, sur un autre point de la banlieue de Moscou, une autre usine, élevée, elle aussi, par les Allemands, a été mise sous séquestre et réservée pour la préparation des explosifs. Une troisième sert à composer des gaz asphyxians. L’Allemagne n’avait pas prévu ces représailles lorsqu’elle avait installé à